Dans les relations entre les gens, comme entre les nations, l’humiliation peut conduire à des actes insensés, à des guerres inextinguibles.
Il est donc essentiel de ne pas humilier les autres, de les respecter ; et, si l’humiliation a eu lieu, si le contact est rompu, de le renouer, au moins aussi longtemps que l’humilié est encore accessible au dialogue et qu’il n’est pas devenu un ennemi irréductible, que seule la force peut empêcher de nuire.
Ainsi, en 1919, humilier l’Allemagne, par l’imbécile Traité de Versailles, a conduit à la victoire du nazisme, qu’il fallut combattre. De même, en 1995, humilier la Turquie en lui refusant l’entrée dans l’Union Européenne la précipite aujourd’hui dans les bras d’un islamisme pour l’instant encore modéré, et peut en faire un jour un ennemi. De même, après la 2ème guerre du Golfe, démanteler l’armée de Saddam Hussein a conduit des milliers de soldats et d’officiers d’une armée totalement laïque et parfaitement formée, à constituer depuis quelques mois les cadres d’un soi-disant Califat Islamique, prétendant aujourd’hui rassembler tous les musulmans humiliés du monde, dans un combat mortel contre l’Occident. De même encore, entretenir un rapport de force brutal et humiliant entre Israël et la Palestine, maintient les uns dans l’illusion de gagner la guerre et les autres dans celle de nourrir leur désir de détruire l’Etat hébreu.
Enfin, aujourd’hui, humilier la Russie, en prétendant l’isoler du reste du monde, sous prétexte qu’elle n’a pas accepté que les russophones d’Ukraine y soient traités comme des citoyens de seconde zone, peut conduire à en faire un ennemi qu’il faudra un jour combattre. Il est en particulier stupide pour les Polonais de tout faire pour isoler la Russie, comme cela l’avait été pour la France de tout faire pour isoler l’Allemagne dans les années 1920.
Une troisième guerre mondiale serait la conséquence naturelle de la poursuite de cette géopolitique de l’humiliation. On entend déjà, à Washington et à Moscou, s’exprimer les pires points de vue nationalistes, conspirationnistes et bellicistes, qui conduiront au pire, par le simple engrenage de la bêtise et du ressentiment.
Bien des gens, ici ou là, verraient en effet d’un bon œil une tension internationale devenant si forte qu’elle permettrait d’enrayer les terribles engrenages de la crise financière , de donner du travail aux industries de la défense et de spolier en passant les épargnants, par des impôts ou un rééchelonnement de la dette publique, au nom des soi-disant nécessités de la défense de la patrie en danger.
En particulier, les Etats-Unis, éloignés géographiquement des futurs champs de bataille, et qui n’ont presque plus besoin des sources d’énergie du Moyen Orient ou d’Asie centrale, jouent dangereusement avec une telle stratégie, qui peut les aider à dépasser leur crise financière, alors qu’elle serait suicidaire pour les Européens, qui s’y laissent pourtant stupidement entraîner.
Pour que tout cela ne dégénère pas, il est urgent que l’Occident adopte avec les Arabes, les Turcs et les Russes, la même attitude qu’avec l’Allemagne en 1945 : les considérer, ne rompre aucun contact avec eux, les maintenir dans les cercles du pouvoir, leur proposer des projets communs. Et en particulier, avec les Russes, interrompre un boycott qui ne nuit qu’à l’Europe ; et les associer à l’effort de guerre contre un islam radical qu’ils affrontent tous les jours dans le Caucase.
La France pourrait, devrait, oser proposer un tel revirement de doctrine. Encore faudrait-il pour cela qu’elle ait le courage de rompre avec le suivisme des autres Européens, comme elle l’a fait en d’autres occasions, et de prendre la tête d’une géopolitique du respect, même au prix d’une provisoire solitude.