Etrange ironie : 2012 sera, dans de très nombreuses démocraties, à commencer par la nôtre, une année électorale très importante. Et dans tous les autres pays encore soumis à des dictatures, les peuples aspirent à des élections libres. L’humanité toute entière semble donc prendre en main son destin.
En réalité, il n’en est rien : les marchés sont partout, au contraire, en train d’imposer leurs lois ; et les peuples ne vivent de la démocratie que l’illusion et les apparences.
Dans les pays émergents, quels qu’en soit les régimes, les gouvernements et les citoyens sont de plus en plus à la merci des fluctuations des prix des matières premières, des produits agricoles et des cours des grandes monnaies, sur lesquels ils n’ont aucune prise : à quoi servent des élections quand le destin du pays peut être remis en cause à chaque instant par des décisions prises à des milliers de kilomètres ?
De même, les pays développés, plus endettés que jamais, sont de plus en plus à la merci de leurs préteurs, qui peuvent décider de continuer ou non de leur permettre de vivre au dessus de leurs moyens. Et ces préteurs se font chaque jour d’avantage plus pressants. Les démocraties n’ont donc presque plus de moyens d’influer sur leur sort ; elles ne savent ni maîtriser leurs dépenses, ni augmenter leurs recettes ; de plus, elles ont transmis leurs principales responsabilités à des autorités indépendantes ; enfin, elles n’ont pas su mettre en place les moyens de contrebalancer les forces des marchés, dont les acteurs se meuvent de plus en plus librement à l’échelle du monde.
Aussi, les élections à venir n’auront pas beaucoup d’influence sur l’avenir des électeurs. Les peuples le devinent, qui s’accrochent plus que jamais aux symboles nostalgiques de la puissance, tels les défilés militaires (même si, en France, le 14 juillet, un soldat sur trois a défilé à crédit).
Chacun sait, chacun devine, qu’à force de vivre au dessus de ses moyens, les marchés imposeront aux Etats des décisions très difficiles, que chacun connait, mais dont personne ne veut entendre parler. Pas seulement des décisions budgétaires, mais aussi des modes de vie, des façons de penser, d’apprendre, de se soigner, de s’assurer.
Pour y échapper, les nations n’auront bientôt plus d’autre choix que d’imprimer de la monnaie (ce qui finira par de l’inflation, la ruine des classes moyennes, et la fin de la démocratie formelle) ou de fermer les frontières, ce qui conduira au même résultat.
La démocratie n’aura alors été qu’une façon d’organiser la transition entre deux formes de dictature : de celle des princes à celle des marchés.
Pourtant, il est encore possible d’échapper à cette pente tragique. En particulier, l’Europe a encore les moyens, de rester un continent démocratique. Il faut pour cela mettre en place des moyens puissants face aux marchés. En particulier, de décider, dès le prochain sommet européen, de doter le Fonds Européen de 2 trillions d’euros, qui peuvent aisément être rassemblés par l’Union sous forme d’eurobonds et de garantie. Si une telle somme pouvait être annoncée, les marchés sauraient que toute spéculation est vouée à l’échec et les Etats n’auraient même pas besoin de la réunir. Naturellement, pour être vraiment pris au sérieux, il faudrait qu’un tel fonds soit placé sous le contrôle d’un véritable gouvernement européen, responsable devant les peuples et garant du sérieux de chaque pays membre.
La démocratie n’est rien sans les moyens de l’exercer.