Imaginez un certain nombre de personnes, rassemblées en un groupe, partageant une origine, une identité et un destin commun, et cherchant à réaliser ensemble un projet complexe, en compétition contre le reste du monde. L’Histoire et l’expérience leur enseignent que l’intérêt de l’équipe, et de chacun de ses membres, est d’appliquer les 10 principes suivants :
1. Connaître et respecter avec la plus extrême rigueur les règles, très complexes, imposées à tous et définies dans l’intérêt de chacun et du collectif.
2. Appliquer la stratégie définie d’un commun accord par le groupe, tout en laissant, dans ce cadre, la plus grande place à l’innovation, à l’esprit d’initiative et même à l’improvisation, si nécessaire.
3. N’être ni optimiste ni pessimiste, mais faire de son mieux pour surmonter les obstacles et réaliser le projet commun.
4. Partager équitablement les bénéfices, en cas de succès.
5. S’assurer que chacun, dans le groupe, ne fait que ce pour quoi il a trouvé, et prouvé, qu’il était le meilleur.
6. Comprendre que nul ne peut espérer atteindre ses objectifs personnels sans aider les autres membres du groupe à atteindre les leurs, et le groupe, le sien.
7. Se donner à fond, sans compter ses heures de travail, dans le but du succès commun.
8. Mettre en valeur et améliorer les compétences de chacun des autres membres du groupe.
9. Accueillir ou aller chercher et intégrer les meilleurs étrangers, d’où qu’ils viennent.
10. Tout faire pour éviter que les plus habiles du groupe ne le quittent pour en rejoindre un autre.
De quel groupe s’agit-il? De quel projet parle-t-on ? Pensez-vous qu’il est question d’un pays? De la France? Nullement: il s’agit de rugby, des équipes qui disputent en ce moment la Coupe du monde, en Angleterre. En particulier, de l’actuelle équipe d’Australie, modèle de respect de tous ces principes. Et de l’Angleterre, qui n’a pas su les mettre en œuvre. Le plus grand joueur anglais de tous les temps, Johnny Wilkinson, l’avait pourtant dit: « Le meilleur moyen d’atteindre son objectif au rugby est d’aider les autres à atteindre le leur ».
De fait, on pourrait aussi les appliquer à tous les autres sports d’équipe (même s’ils sont, pour la plupart, moins sophistiqués que le rugby), et, bien au-delà, à l’entreprise ou à toute aventure collective. Notamment en politique : dans l’impitoyable compétition qu’elles se livrent, les nations qui les appliquent réussissent mieux, économiquement, socialement et démocratiquement, que toutes les autres. Elles savent en effet que l’ambition, l’éducation, la créativité, l’initiative, la discipline, l’esprit d’équipe, l’acquisition des talents, la clarté du projet et son partage sont les clefs du succès, c’est-à-dire de la richesse, de la puissance, de l’emploi et de la sécurité de leurs habitants.
Pourquoi ne réussirions-nous pas, en France, à les mettre en œuvre ? C’est-à dire à nous mettre d’accord sur une stratégie, un projet commun? Pourquoi ne pas comprendre l’intérêt que nous avons à jouer ensemble, en équipe ? Pourquoi ne nous réjouissons-nous pas du succès des autres ? Pourquoi ne donnons-nous pas la priorité absolue à l’éducation, à l’épanouissement des talents ? Parce qu’il nous faudrait pour cela cesser de confondre la liberté avec l’égoïsme, le bonheur avec le plaisir, le succès personnel avec l’échec de l’autre, l’ambition avec la jalousie, la passion avec l’envie. Parce que. Nous devrions faire de l’altruisme la valeur suprême, la source majeure de l’esprit d’équipe et du succès durable de toute entreprise humaine.
Encore faudrait-il pour cela avoir des hommes d’État qui expliquent, conduisent et entraînent. Encore faudrait-il, pour qu’ils le veuillent, y préparer les citoyens dès la prime enfance, en enseignant ces principes à partir de l’école maternelle : la meilleure façon d’y parvenir serait, dans toutes les écoles de France, de jouer au rugby.