On pourrait attendre de moi, en ce jour de changement d’équipe, trop longtemps annoncé et attendu, que j’explique, une fois de plus, ce que j’attends d’un éventuel nouveau gouvernement.
Et pourtant, je ne me prêterai pas à cet exercice convenu, lassé de l’avoir trop fait depuis tant d’années. En vain. Lassé d’avoir dit et répété, comme l’a fait ici aussi Christophe Barbier, qu’il était urgent de réformer le pays, d’une façon économiquement efficace et socialement juste. Lassé aussi d’exposer, d’article en article, de rapport en rapport, de livre en livre, le détail de toutes les réformes urgentes, formant le consensus silencieux de tous ceux qui, à gauche et à droite, s’intéressent aux affaires publiques ; mais avec rarement assez de courage pour admettre publiquement leur nécessité et leur urgence.
Si je ne le fais pas de nouveau aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour ne pas me répéter, ni pour ne pas ennuyer mes lecteurs, mais parce que je voudrais pousser chacun de nous à aller plus loin, à anticiper une nouvelle déception et à faire un nouveau pari à la Pascal : non pas le pari de croire en Dieu, parce qu’on n’a rien à y perdre, mais celui d’agir pour soi, maintenant, indépendamment d’une hypothétique action publique. Parce qu’on a tout à y gagner.
En effet, de deux choses l’une:
Soit le futur gouvernement n’est pas à la hauteur des enjeux ; alors chacun aura agi à temps pour suppléer pour lui-même à son impuissance. Soit au contraire le gouvernement agit. Et là encore, de deux choses l’une : soit il échoue, ce qui ramènera au cas précédent. Soit il réussit, ce qu’évidemment je lui souhaite, et nul n’aura rien perdu à compléter l’action publique par une initiative personnelle.
En conséquence, ma recommandation à chacun de mes lecteurs est claire : agissez comme si vous n’attendiez plus rien du politique. Et, en particulier, comme si vous n’attendiez que le pire du gouvernement à venir. Et pire encore des suivants, quelle qu’en soit la couleur politique. Car, plus on tardera à réformer le pays, plus il sera difficile de le faire. Et les majorités à venir disposeront d’encore moins de moyens que l’actuelle, handicapée par l’inaction de ses prédécesseurs.
Concrètement, cela signifie qu’il convient de ne plus attendre la moindre amélioration des prestations sociales, la moindre baisse des impôts, la moindre création d’emploi public, ou la moindre décision positive d’aucune sorte.
Débrouillez-vous, tel est mon conseil. Cela veut dire : au lieu de rester chômeur et d’attendre une offre d’emploi, formez-vous, créez votre entreprise et votre emploi, avec les crédits encore disponibles ; si vous avez un emploi ennuyeux, inventez vous-même une nouvelle façon de faire votre métier, quel qu’il soit, plus amusante et plus créative. Si votre chef vous ennuie, inventez une façon (il y en a mille) de le contourner, de le neutraliser. Si vous êtes chef d’entreprise, n’attendez pas de baisse d’impôt pour investir ou embaucher ; choisissez votre stratégie au regard du monde comme il est.
Et si cela passe par votre départ à l’étranger, faites-le, sans remords, pour un temps, sans pour autant céder à l’illusion d’exotiques miroirs aux alouettes.
Le monde appartiendra demain à ceux qui, aujourd’hui, auront su renoncer à attendre quoi que ce soit de qui ce soit. De leurs parents. De leurs patrons. De leurs maires. De leurs gouvernants.
Si, dans cet éloge du réalisme, il vous reste, ce que je souhaite, une once d’altruisme, alors aidez ceux qui vous sont proches à oser aussi. Surtout ceux qui sont trop faibles ou démunis pour pouvoir se prendre en charge. Pour cela, créez des solidarités associatives, et prenez vous-même en charge la responsabilité des générations suivantes.
Accessoirement, l’agrégation de ces égoïstes et de ces altruismes privés aura un effet dévastateur et positif sur les politiques, en les poussant à justifier enfin leur raison d’être.
Pensez à vous, aux vôtres. Et osez affronter la salvatrice solitude.