Bravant les moqueries de soi-disant intellectuels parisiens, j’ai toujours revendiqué ma passion pour certaines séries américaines. D’abord, de Colombo à Mac Giver, des Sopranos à Friends, de West Wing à Urgences. Et puis, pour mon plus grand bonheur sont arrivées des séries de plus haut niveau encore, que je peux regarder sans trop de remords, et dont on a commencé à avoir le droit de dire qu’on y était addict : Docteur House, au cynisme rafraichissant ; 24, au sulfureux parfum néoconservateur ; Homeland, infiniment plus subtil, sur le même terrain. Et puis vint le génial The Wire, qui en dit plus sur la société américaine que mille cours de science politique. Et puis encore, House of Cards, pas meilleur à mon sens que West Wing, mais dont il était plus toléré de s’en reconnaître fan. Et tant d’autres moins connues, qui me ravissent : Mad Men (sur le monde de la publicité des années soixante), the Good Wife (sur le milieu des avocats). Et puis, d’autres encore, tout aussi passionnantes : In Treatment (sur la psychanalyse, inspirée d’une série israélienne) ; Borgen (sur la politique, venue du Danemark) ; The Office (sur la vie de bureau, venue de Grande-Bretagne) et enfin, très récemment, True Detective, un joyau. On y découvre de formidables histoires, de savoureux dialogues, de magnifiques comédiens, des réalisateurs de haut niveau. De chacune d’elles, on pourrait parler des heures. Toutes disent beaucoup sur notre temps. Elles constituent aussi un formidable facteur d’accélération de l’occidentalisation du monde. Et sont, comme le football, des sujets planétaires de conversation.
Et puis, vient la plus grande, à l’heure où j’écris, celle qui emporte tout sur son passage, la plus extraordinaire aussi par ce qu’elle dit sur notre temps : « Game of Thrones », production de la chaîne américaine HBO, inspirée des romans de R.R. Martin, dont 3 saisons ont déjà été diffusées et dont on découvre maintenant la quatrième, dans une hystérie planétaire inégalée. Elle raconte les conflits politiques dans un Moyen-Age imaginaire, sur les continents de Westeros (Occident) et d’Essos (Orient). On suit d’abord, à la fin d’une période de sécheresse d’une dizaine d’années, le combat de plusieurs familles pour la conquête du Trône de fer dans le Royaume des Sept couronnes. Puis, avec le retour du froid, l’arrivée menaçante de créatures monstrueuses venues du Nord, pendant que la dernière héritière d’une dynastie déchue tente de reprendre le pouvoir.
Si tout cela ressemble à d’autres choses lues ou vues chez Tolkien, Robert Howard ou Clive Lewis, le succès de Games of Thrones est incomparable. Trois éléments l’expliquent : d’abord, les moyens financiers inédits dont cette série dispose, grâce au caractère mondial de son marché, lui permettent d’avoir des scénaristes, des effets spéciaux, des acteurs, de très haut niveau. Ensuite, l’utilisation des réseaux sociaux démultiplie son impact : ainsi, le 9ème épisode de la saison 3 a entraîné plus de messages tweeter qu’aucun autre évènement mondial et une vidéo culte sur YouTube montre les réactions des spectateurs du monde entier en la regardant. Au point même que nul ne lutte plus contre ses téléchargements illégaux, par Netflix ou tout autre logiciel, car ils contribuent à sa renommée. Enfin, et sans doute surtout, parce que son scenario renvoie très précisément à ce que notre planète va bientôt vivre : une sorte de nouveau Moyen-Age, plein de violences, de désordres, de catastrophes naturelles, de seigneurs de la guerre, de querelles de pouvoir aux rebondissements très rapides. Games of Thrones décrit le monde qui s’annonce après la fin de l’Empire américain, un nouveau Moyen Age flamboyant où aucun pouvoir n’est stable, où tout devient possible.
On peut refuser la globalisation. On peut vouloir s’enfermer dans son petit univers. Heureusement, ou malheureusement, c’est impossible : le nouveau Moyen-Age est là. Il nous fascine. Il est plein de belles histoires et de promesses ; plein de barbaries aussi. Il nous attend ; à nous d’en faire le meilleur usage.