Qu’est ce que la concurrence ? C’est un processus naturel de lutte contre la rareté dans un chacun pour soi fondateur. Cette recherche de survie est un moyen pour atteindre l’excellence. Dans son acception positive, la concurrence, c’est l’émulation.
Mais la concurrence est aussi un immense risque car elle une source de concentration au profit des plus forts ; or, les plus forts ont tendance à faire en sorte que les conditions de la concurrence soient les plus inégales possibles. De plus, la concurrence pousse à l’exacerbation du nouveau et peut susciter de fausses innovations, sans véritable progrès économique. Enfin, la concurrence renforce à l’excès l’individualisme et casse toute forme d’altruisme.
Pourtant, la concurrence reste nécessaire car une société sans concurrence est une société qui se condamne à l’immobilisme. Il faut donc de la concurrence, mais toute politique de concurrence doit obéir à deux grandes conditions.
La première de ces conditions, c’est que la concurrence ne doit pas être un objectif en soi ; elle doit être l’une des dimensions d’une société à objectifs multiples. Toute chose qui n’a qu’un objectif unique peut être destructeur. Il suffit de considérer le cas de l’Europe. Aujourd’hui, la Commission européenne concentre toute son attention et ses efforts sur la politique de concurrence. Cela conduit à un désastre, parce qu’une politique de concurrence sans politique industrielle s’oppose à la constitution de groupes européens de taille mondiale. On ne pourrait plus faire Airbus aujourd’hui. L’Europe a besoin d’une politique industrielle pour s’inscrire dans le long terme. Un objectif unique de politique de concurrence, c’est une politique d’immédiateté qui conduit chacun à être en concurrence en permanence sans pouvoir penser au long terme. C’est la tyrannie du consommateur, le triomphe du consommateur sur le travailleur, sur l’actionnaire et sur la collectivité.
La seconde condition, c’est de poser des limites à la concurrence. La limite qui me paraît essentielle, c’est la protection des services publics. Le service public, par nature, ne doit pas être en situation de concurrence : les services publics doivent être sanctuarisés. Même si on ne peut ignorer les risques du monopole qui peuvent conduire à des situations de rente, les services publics doivent être protégés de la concurrence. Pourquoi ? Parce que la fonction de l’Etat est de défendre une communauté et de donner à l’altruisme sa place dans la société. Or, la concurrence poussée en idéologie totalitaire, comme c’est le cas en Europe aujourd’hui avec la Commission et le Traité de Rome, a empêché l’Europe de se doter de services publics et de tout ce qui pourrait ressembler à une véritable communauté.
De ce point de vue, les Français ont raison de ne pas être convaincus que la concurrence est une bonne chose car lorsque la concurrence est laissée en toute liberté, c’est la concurrence du secteur public avec le secteur privé, et c’est la destruction du service public dans de nombreux domaines.
J’ai présidé la Commission pour la libération de la croissance française. Les propositions de cette Commission n’ont été que partiellement reprises et ne l’ont été que dans leur dimension favorable aux producteurs, et non aux salariés ou aux consommateurs. Dès lors que la concurrence est ressentie comme quelque chose qui nuit à l’emploi, ou qui nuit à l’égalité, les Français s’en méfient au point de ne plus voir la dimension positive de la concurrence.
Ma conviction est que la concurrence est une excellente chose lorsqu’elle permet l’émulation et qu’elle pousse à l’innovation, à condition qu’elle s’inscrive dans des règles du jeu qui n’empêchent pas la promotion du service public et de l’altruisme.
Nous allons bientôt assister à l’affrontement des candidats à l’élection présidentielle. La différenciation des candidats ne se fera pas pour ou contre une politique de concurrence. Tout le monde est pour la politique de concurrence et pour une autorité de la concurrence. Tous les candidats devraient s’accorder pour que la politique de concurrence soit la plus efficace possible et pour que l’Autorité de la concurrence exerce pleinement les pouvoirs tels que définis par la Commission pour la libération de la croissance.
Deux questions permettront de différencier les candidats en matière de politique de concurrence. D’une part, leur politique de concurrence sera-t-elle une politique unique ou bien l’un des aspects d’une politique globale liant politique de concurrence, politique industrielle et politique sociale ? D’autre part, le champ de leur politique de concurrence sera-t-il clairement défini afin d’assurer la protection des services publics ?