Comment remboursera-t-on les dettes que les Etats accumulent ? Et si leur poids n’est pas un problème, pourquoi ne pas les avoir augmentées beaucoup plus, et beaucoup plus tôt ?
La réponse à ces questions, que tout le monde se pose, déterminent très largement notre avenir. La Banque du Japon, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine, doivent leur donner de nouvelles réponses cette semaine, lors de leurs réunions mensuelles. Et si les pays européens leur donnent des réponses différentes, le projet européen sera condamné.
Au rythme actuel, aux Etats-Unis le niveau d’endettement de 1946 (106%) pourrait être dépassé en 2023. Celui du Japon dépasse déjà les 200%. La dette italienne devrait passer de 135% à 155% avant la fin de 2020. La dette française devrait augmenter de 17 points jusqu’à 115% fin 2020. En moyenne, celle de l’OCDE va dépasser 120% du PIB en 2021. Celle de la Zone Euro devrait, au mieux, atteindre 112% en 2022 contre 84% fin 2019. La dette mondiale, publique et privée, approche des 300%.
Faut-il s’en inquiéter ? Pas nécessairement.
D’abord, il faut remettre en question ce critère d’évaluation de la dette publique : la comparer au PIB est aussi absurde que de comparer la dette d’une mairie au total des revenus de tous les habitants de la commune ; alors qu’il faut, comme pour un ménage, la comparer au budget de la commune, savoir si elle a servi investir ou à payer des dépenses courantes ; tenir compte de sa capacité de remboursement et identifier les emprunteurs.
Ensuite, il faut se demander comment la faire disparaître. L’histoire enseigne qu’il y a quatre moyens : la croissance, le remboursement par les emprunteurs, la spoliation des préteurs, ou la guerre.
1. La croissance, même accompagnée d’une inflation modéréee, est la meilleure solution : après 1945, elle a largement effacé la dette de guerre, tant aux Etats-Unis qu’en Europe.
2. Le remboursement, volontaire ou forcé, par les emprunteurs (c’est à dire les contribuables), suppose plus d’impôt et moins de dépenses publiques, qu’on nomme « austérité ». Ce qui est évidemment politique inacceptable (comment faire payer aux ménages ce qu’on a distribué largement aux entreprises ?), et économiquement absurde, puisque cela détruirait toute perspective de croissance et affaiblirait l’économie de la vie
3. La spoliation des préteurs suppose, elle, l’annulation des dettes publiques. Elle est régulièrement pratiquée dans les pays émergents, (et encore récemment, pour les pays d’Afrique) mais très difficile à imaginer dans les pays développés. Récemment, la présidente de la Banque centrale européenne a même écarté cette solution en la qualifiant de « totalement impensable ». De plus, quand la dette est, comme au Japon et en Europe, très largement détenue par des nationaux, la spoliation des préteurs ne ferait qu’appauvrir le pays. Enfin, la spoliation des préteurs par l’inflation n’est pas aujourd’hui vraisemblable, et ne le sera pas avant longtemps, à moins d’une crise alimentaire grave, qui la déclencherait.
4. Reste la guerre ou une pandémie pour faire accepter une hausse des impôts. Intolérable évidemment.
Et comme aucune de ces solutions n’est populaire, les dirigeants politiques cherchent à tout prix à ne pas décider. Et, pour ça, ils renvoient la responsabilité sur les banques centrales : Une fois les dettes privées rachetées par les Etats, ceux-ci les revendront à leur banque centrale, organisant ainsi un financement plus ou moins directes des ménages, des entreprises et des dépenses publiques, par la planche à billets. Certaines banques centrales achètent déjà des obligations d’entreprises, des créances immobilières, et bientôt des emprunts de collectivités locales.
Cela se traduit déjà dans le bilan des trois principales banques centrales (Japon, US et Europe), passé de 3 400 milliards de dollars en 2007 à 14.600 milliards de dollars en 2019 et plus de 20.000 avant la fin de l’année. Le bilan de la seule FED va tripler en 2020. La BCE détient aujourd’hui 20 % des dettes publiques de la zone euro, et bientôt 25%. Et même plus de 30% de la dette publique allemande.
Quand les politiques renoncent à tout courage et transfèrent leur responsabilité aux banques centrales, c’est-à-dire à la planche à billets, la démocratie est menacée.
Beaucoup pensent que cette délégation de pouvoir à une entité abstraite est d’autant plus possible qu’une banque centrale ne fera, en théorie, jamais faillite ; elle peut même maintenir son activité avec des fonds propres négatifs, comme l’a fait la Banque Centrale du Chili pendant plusieurs années.
De tout cela, il résulte que les dirigeants politiques, quels qu’ils soient, feront tout pour faire porter le poids ultime de la dette sur les banques centrales.
Encore faut-il que nul ne doute de la pérennité de cette banque. Cela ne sera le cas de la BCE que si l’Union Européenne devient une entité politique, démocratique, stable et prédictible. D’ici là, l’endettement public européen reste un pari politique extrêmement risqué.
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