Dans les temps d’aujourd’hui, il y aurait mille raisons d’en finir avec le ministère de la culture.
D’abord parce que, dans une démocratie, la culture est l’affaire de chacun, et qu’il n’appartient pas à un pouvoir politique de la dicter.
Ensuite, parce que les temps ne sont plus aux projets pharaoniques des rois ou des présidents précédents : Le pays ne comprendrait pas que le Prince décide aujourd’hui de la construction d’un nouveau musée ou d’une grande bibliothèque.
Ensuite encore parce que bien des compétences actuelles de ce ministère peuvent être efficacement reprises par d’autres ministères : l’éducation artistique aurait toute sa place à l’Education Nationale ; l’architecture, le patrimoine, les bibliothèques et les musées au ministère de la ville.
Et les autres compétences actuelles ne supposent pas qu’un ministère s’en occupe :
Après tout, les métiers de la littérature, du théâtre, de la danse, de la musique, du cinéma, du dessin animé, du jeu vidéo, de l’art contemporain, sont déjà rattachés, pour certains, à des agences ad hoc, et on pourrait soutenir que l’étage ministériel n’y rajoute pas grand-chose.
Les subventions aux institutions existantes pourraient être, elles aussi, distribuées sans l’intervention d’un ministère , selon des critères objectifs ; et les nominations aux postes culturels importants pourraient être faites sans interventions politiques ou administratives, par des commissions indépendantes, où des regards étrangers seraient bienvenus.
Même les métiers nouveaux de la communication relèvent tous d’instances spécifiques, et l’intervention ministérielle ne fait souvent que brouiller les chaines de responsabilité : les nouveaux médias ont plus besoin d’un cadre réglementaire et fiscal clair que d’un ministre de la culture et de la communication .
Quant à la défense de la langue française, elle devrait se partager entre l’éducation nationale et les affaires étrangères ; et le ministère de la culture n’a jamais brillé par son appétence à s’en occuper.
On pourrait même soutenir que la culture est l’affaire de tous les ministères ; qu’il y a de la culture dans l’agriculture (les jardins), dans l’industrie (le design), et dans toutes les autres activités ministérielles. Et plus encore parce que, désormais, l’essentiel des activités artistiques sont financées par des villes, des territoires, des entreprises, des personnes privées, des fondations, et que l’Etat n’est plus un acteur déterminant.
Alors, faut il supprimer ce ministère et avec lui quelques milliards de dépenses ? Ou faut-il ne le laisser survivre que de façon décorative, pour établir que la France est encore un pays de culture ?
Je ne le pense pas, mais il faudrait donner à ce ministère un tout autre rôle, de préemption et d’impulsion sur tous les sujets culturels.
D’abord, penser les sujets d’avenir et les préempter, pour inciter les acteurs privés et publics à anticiper. Ce n’était pas au ministère de la Culture de créer un « Netflix français », mais c’était à lui de tout faire pour que les acteurs publics et privés s’entendent pour en créer un. Et de penser dès maintenant à ce qui va venir, avec la réalité virtuelle, l’intelligence artificielle et tout ce qui suivra, pour faire en sorte que se créent les entreprises qui vont permettre de défendre les créateurs et les créations françaises.
Ensuite, et surtout, écouter avec respect, empathie et intérêt les initiatives culturelles et artistiques venues de partout, même de gens qui ne sont dans une aucune filière, dans aucune coterie, dans aucun réseau, parmi lesquelles se trouvent surement les pépites de demain.
Un ministère de la culture ne devrait pas être là pour gérer l’existant, dont il devrait surtout se tenir à l’écart, mais pour impulser ce qui sera la routine d’après-demain, et dont personne ne veut entendre parler aujourd’hui.
j@attali.com