Toute ma vie s’est nourrie d’Italie. J’en ai appris très tôt la langue. Sa littérature m’a toujours bouleversée ( pour ne citer que Primo et Carlo Levi ) ; sa poésie ne me quitte pas (de Dante à Leopardi) son théâtre est indépassable, (Goldoni et Pirandello) ; sa sculpture est fondatrice, (depuis les Romains jusqu’à Cattelan en passant par le Bernin ) ; son architecture (avec Vasari, et Renzo Piano) ; sa philosophie ( en ne citant que Gramsci et de Agamben) ; sa musique est universelle (de Scarlatti à Berio) ; sa peinture avec mille noms, (de Giotto à Boetti ) ; l’opéra ne serait rien sans Verdi, Puccini Bellini et tant d’autres. Sa cuisine est essentielle au monde (sait-on que le monde consomme chaque année 30 milliards de choses qu’on nomme « pizzas »). Et son cinéma (avec mille noms, dont ceux de Visconti et de de Sica)
Plus encore peut être : elle fut, à plusieurs reprises et sous plusieurs noms, au cœur du monde. Avec Rome, bien sûr, à qui nous devons tant. Rome, héritière des traditions grecques et juives, et où fut installé le berceau d’une troisième forme d’universalité, avec le christianisme. Mais aussi, avec Venise, puis Gènes qui furent entre le 13ème et le milieu du 16ème siècle, d’immenses superpuissances, les équivalents de la New York du vingtième siècle.
Aujourd’hui, l’Italie reste une puissance universelle par son industrie (sait-on qu’elle exporte et innove bien plus que la France), par ses marques (de mode ou d’alimentation) et par tant d’autres dimensions. Elle est bien plus que ses hommes politiques, qui ont peu de place dans son panthéon.
Qu’elle le veuille ou non, l’Italie est plus qu’une nation, c’est une idée ; une idée si puissante qu’elle en a oublié pendant des millénaires de devenir une nation et que tout cela a fleuri sous le joug de quelques princes ou de puissances étrangères ; avant de s’incarner en une nation il y a seulement quelque cent cinquante ans.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la dispute actuelle. Elle ne se réduit pas aux insultes ridicules lancées par quelques politiciens mal élevés soucieux d’entretenir une popularité incertaine ; elle n’est pas seulement une inquiétante manifestation d’une nostalgie de la période la plus noire de l’histoire italienne, la période fasciste. Elle est aussi un moment important, où une très grande idée, universelle, nous dit qu’elle ne veut pas mourir et qu’elle veut continuer à jouer un rôle dans l’Histoire du monde. Et d’abord dans l’Histoire de l’Europe.
La France est confrontée aux mêmes angoisses. Même si elle est une nation depuis plus de mille ans, elle est aussi une idée. Et rien n’est plus fécond que quand l’idée-Italie et l’idée-France se nourrissent l’une de l’autre. Cela a donné mille chefs d’œuvre (que serait la Renaissance sans la rencontre entre Léonard et Francois 1er ?). Cela peut construire l’Europe.
La meilleure réponse qu’on puisse faire à la situation actuelle n’est donc pas de se draper dans une indignation réciproque, mais de tendre la main, de dialoguer, entre écrivains, intellectuels, artistes, entrepreneurs, savants, professeurs, médecins, syndicalistes, partis politiques, associations, pour que, de nos deux idées-nations naissent enfin une nouvelle idée, l’idée-Europe, que nous avons tout pour faire progresser ensemble.
C’est d’ailleurs déjà en gestation. Et même quand un ministre italien commet l’impolitesse de venir en France parler avec des gens qui veulent y fomenter un coup d’Etat, il dit, contre son gré, que le débat n’est plus aujourd’hui national, mais bien européen. Et qu’il convient de faire vivre cette Europe à qui le monde doit tant, et qui ne pourrait mourir que de suicide.
Lançons un grand débat franco-italien, puis européen. Bien au-delà des seuls affrontements électoraux à venir, cela aidera à retrouver notre fierté en notre identité, et notre confiance dans l’avenir.
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