Que puis-je faire pour les autres ? Que puis-je faire pour moi-même ? Qu’est-ce que les autres peuvent faire pour moi ?
Suivant l’ordre dans lequel un individu, une entreprise, une nation se posent ces trois questions, quel que soit son environnement ou sa situation sociale, on peut à peu près tout deviner de son destin :
Ceux qui prennent en main d’abord leur propre futur sont ceux qui réussiront le mieux leur vie, quelles que soient leurs prédispositions et leur environnement social. Ceux qui aident le plus les autres sont ceux qui auront le meilleur impact sur le monde. Enfin, ceux qui ne font que demander ce que les autres peuvent faire pour eux, qui passent leur vie à réclamer, auront renoncé à avoir un impact sur leur propre vie et sur celle des autres.
Qu’on ne me dise pas que la hiérarchie de ces questions est déterminée par le milieu social ; qu’on n’affirme pas que la pauvreté condamne à se contenter de réclamer, à attendre tout de la société et des autres. C’est faux. Je rencontre tous les jours des jeunes gens venus de milieux sans espoir, de familles brisées, de logements exigus, de lointains pays, qui se sont pris en main, parfois avec l’aide de professeurs ou de soutiens particulièrement bienveillants, et qui ont réussi des études de très haut niveau, rendues plus difficiles encore par les conditions dans lesquelles ils ont dû étudier. Je rencontre aussi tous les jours des gens venus des milieux sociaux les plus favorisés qui ne font que réclamer ce qu’ils n’ont jamais cherché à obtenir par leur travail. Et qui finissent leur vie dans la déchéance et l’amertume.
Même si le milieu socioculturel augmente massivement les chances de réussir, c’est la volonté de se prendre en main qui détermine le destin de chacun.
Et quand j’entends expliquer que le QI serait le déterminant essentiel de la réussite individuelle, que de cette mesure dépendrait le destin de chacun dans le monde à venir, je ne peux m’empêcher de penser qu’il est quelque chose de beaucoup plus important encore que cette mesure, qui est la volonté de s’occuper de soi-même, de se donner les moyens de réussir, malgré toutes les difficultés.
La volonté est le principal des dons. C’est elle qui permet de réussir, pas de soi-disant dons physiques ou intellectuels.
Cette volonté, cette « gnaque » (qu’on trouve chez les artistes, chez tous les gens ayant une vocation, quelle qu’elle soit, et chez tous ceux ayant la volonté d’échapper à leur condition), est bien plus importante que tout. Elle peut s’acquérir. Et c’est cela surtout qu’on peut apporter aux autres, en répondant à la deuxième question : leur faire prendre conscience qu’ils sont uniques, et leur donner la confiance nécessaire pour se prendre en main.
C’est même la seule chose qu’on peut réclamer d’une société : non qu’elle vous assure un revenu décent quoi qu’on fasse, mais qu’elle crée les conditions pour que vous puissiez former un projet de vie et le réaliser un projet de vie. C’est la fonction essentielle du politique, que de donner à chacun l’envie et les moyens de se réaliser.
Ceux qui ne veulent pas admettre qu’ils tiennent entre leurs mains les clés de leur propre destin, et qui ne font rien pour aider les autres à réussir, se condamnent à échouer et, accessoirement, à détester ceux qui réussissent : il n’est rien de plus intolérable que de voir les autres faire ce qu’on aurait pu faire soi-même si on en avait eu l’énergie, si on avait pris conscience de sa solitude, si on avait compris que la vie est magnifique, à condition de la prendre comme elle vient, et de se révolter pour en tirer le meilleur, pour soi et pour les générations à venir.
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