Toutes les études, faites par le ministère français de l’éducation nationale comme par des organisations internationales, montrent que le niveau en mathématiques des élèves français recule constamment, depuis au moins vingt ans. Et même s’il décroit de moins en moins vite, il continue de régresser. Par exemple, les collégiens français sont les plus mauvais, parmi les élèves des pays membres de l’OCDE, dans la maîtrise des fractions. Même dans les classes de terminale S, supposés excellentes, la France est le pays européen qui enregistre la plus forte baisse en maths par rapport à 1995, avec un écart qui se réduit sans disparaître entre filles et garçons. Et si nous sommes encore une des meilleures nations du monde en recherche mathématique, nous ne le serons bientôt plus, si nous continuons à glisser sur cette pente. Avec des conséquences tragiques sur le niveau de nos ingénieurs, de nos chercheurs, de nos entreprises.
Les raisons en sont connues : la tentative désastreuse, dans les années 70, d’enseigner la topologie et l’axiomatique dès le primaire et de définir tous les objets par des concepts ; méthode qui fit aussi des ravages en orthographe et en grammaire. Et aussi le recrutement des professeurs des écoles parmi, pour l’essentiel, des étudiants venus de filières littéraires, n’ayant aucun appétit pour enseigner ce qui les avait rebutés pendant leurs propres études.
Tout cela est réparable, et on s’y emploie, avec un espoir d’y réussir, en particulier, récemment, en s’inspirant de méthodes utilisées à Singapour, (pays qui vient de détrôner la Finlande à la tête du classement de l’OCDE) : on y introduit les quatre opérations arithmétiques dès le CP en n’utilisant que des petits nombres, en distinguant clairement une phase concrète et une phase imagée, avant de passer à l’abstraction. Et en recrutant et formant autrement les enseignants du primaire.
Enfin, et peut-être surtout, en comprenant que l’apprentissage des mathématiques exige une série de qualités qui ne sont plus du tout de mode : la concentration, l’entêtement, la répétition, le par cœur, la capacité à reconnaître ses points faibles et à chercher à les améliorer, le travail en équipe pour se faire expliquer par d’autres pairs ce qu’ils ont compris avant vous. Toute une série de qualités que je définirai comme la capacité à faire un « investissement mental » et que la modernité discrédite, alors qu’elle glorifie les plaisirs furtifs, les succès sans effort, les réussites de hasard. Illusion, tant individuelle que collective.
Tous les classements des nations ou des entreprises ou des individus, démontrent pourtant que cet intérêt pour le long terme est la clé de la réussite ; par la motivation qu’il entraîne, les méthodes qu’il suscite et les efforts qu’il légitime. Et les nations, les familles, les groupes sociaux, les individus qui savent, ou peuvent, le mieux privilégier cet investissement mental, donner du sens à l’effort, sont celles et ceux qui réussissent aujourd’hui le mieux à atteindre leurs objectifs, à réaliser leurs rêves, même ceux qu’ils croient inaccessibles.
En ces moments de Grand Débat, où on recherche des clés pour une meilleure société, plus juste et plus durable, créant les conditions de plus de bonheur, de plus de croissance et d’un meilleur environnement pour tous, on devrait comprendre que la réponse n’est pas seulement dans des réformes fiscales, ou institutionnelles, mais aussi dans l’enseignement et la valorisation, à tout âge, de l’investissement mental. Certains, parmi les plus favorisés, le font, en France. Il faudrait tout faire pour que cela soit accessible à tous. Là serait la vraie révolution.
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