Quand on parle de désarmement nucléaire, la France est toujours aux aguets : elle doit à la fois faire preuve de bonne volonté, pour pousser les autres à réduire des armements pléthoriques , et tout faire pour éviter que, dans un acte de générosité bien orientée , les deux superpuissances s’engagent à un désarmement global réduisant d’avantage la force de frappe française, à peine suffisante, que les leurs, pourtant surabondantes.
Cette question se pose depuis le traité de non prolifération, signé en 1968, qui prévoit que les 5 puissances légalement nucléaires devraient se donner comme objectif leur désarmement total ; elle s’est en particulier posée pendant la décennie 80, alors que les deux grands avaient encore plus de 70.000 tètes, et elle fut l’enjeu d’un des pires affrontements franco-américain de l’après guerre, lors du G7 de Williamsburg, en 1983. Par sa fermeté, la France a pu alors évité d’etre prise dans un accord négocié sans elle, le Traité de réduction des armes stratégiques (Start) signé en juillet 1991, entré en vigueur en 1994, et qui expirera à la fin de cette année. Ce traité a permis de ramener à environ 6 000 le nombre des têtes nucléaires déployées respectivement par les Etats-Unis et la Russie, et à 1 600 le nombre de leurs vecteurs stratégiques.
Pendant cette période, de sa propre initiative, la France a démantelé ses installations de production de matières fissiles, interrompu ses essais et réduit d’un tiers le nombre de ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, de ses missiles et des avions de la composante nucléaire aéroportée. Au total, elle n’a plus aujourd’hui qu’environ 300 tètes nucléaires.
Le risque d’etre désarmé par la décision d’autrui revient avec la reprise de la négociation, en 2010, pour prolonger START. Cette négociation devrait se conclure par l’arrêt des essais et de la production de matériel fissile nucléaire et par la réduction du nombre de tètes à 1000 par pays ; un tel seuil ne serait pas gênant pour les Etats-Unis et la Russie, qui disposent par ailleurs d’une supériorité conventionnelle absolue ; il serait d’ailleurs nécessaire pour tenter de faire entrer dans la négociation les autres Etats nucléaires, comme la Chine, l’Inde, Israël et le Pakistan. Mais, s’il concernait aussi, en proportion l’armement français, il pourrait remettre en cause sa crédibilité.
Nul ne peut douter qu’un monde sans arme nucléaire serait meilleur que l’actuelle planète. Mais la France ne peut etre la seule à se priver de cet atout de puissance, qui lui permet d’obtenir bien des choses, sur d’autres fronts.
Et pourtant, aujourd’hui, la France n’a plus les moyens de s’y opposer : D’une part, elle n’a pu empêcher qu’il soit décidé à New York qu’une des missions de la future conférence de 2010 sera de « revoir les engagements de désarmement total » des cinq Etats nucléaires autorisés par le TNP ; et ca, ca veut dire que la France sera tenue de désarmer. D’autre part, son entrée dans l’Otan ne simplifie pas sa posture de négociation : même si la France a refusé pour l’instant de revenir dans le Groupe des Plans nucléaires de l’OTAN, les autres pays pourront soutenir que, comme la Grande Bretagne, la France est maintenant protégée par le système nucléaire de l’Alliance et que son armement n’est plus autonome, et donc plus nécessaire.
De tout cela, il sera question très fortement au prochain sommet du G8 en Italie. L’administration américaine fera tout pour obtenir que la France se range derrière elle et que son armement soit réduit massivement. Il sera plus difficile que jamais d’y résister. L’indépendance française en dépend.