Qu’ont de commun Caton l’ancien, Voltaire, et Pierre Mendes France ? Tous les trois, comme beaucoup d’autres hommes politiques, ou intellectuels du monde entier, ont compris que, pour qu’une idée fasse son chemin, il fallait la répéter à l’infini. Caton martelait qu’il fallait détruire Cartage ; Voltaire signait toutes ses lettres de sa haine de l’obscurantisme ; et Pierre Mendes France a clamé toute sa vie son obsession de la vérité.

Et là, ce qu’il faut répéter, sans limite, c’est la nécessité de concentrer tous les efforts de relance sur certains secteurs, que, depuis plus d’un mois, je nomme « l’économie de la vie ».

Elle regroupe tous les secteurs qui, d’une façon ou d’une autre, de près ou de loin, se donnent pour mission, la défense de la vie, et dont on constate tous les jours, très pragmatiquement, l’importance vitale : la santé, la prévention, l’hygiène, la gestion des déchets, la distribution d’eau, le sport, l’alimentation, l’agriculture, la protection des territoires, la distribution, le commerce, l’éducation, la recherche, l’innovation, l’énergie propre, le numérique, le logement, les transports de marchandises, les transports publics, les infrastructures urbaines, l’information, la culture, le fonctionnement de la démocratie, la sécurité, l’assurance, l’épargne et le crédit .

Ces secteurs sont évidemment liés les uns aux autres : la santé utilise l’hygiène et le numérique, qui est aussi utile à l’éducation ; et rien ne se fera, dans aucun de ces domaines sans la recherche, dont dépend la découverte du vaccin et du médicament, nécessaires à la maîtrise de cette pandémie. Cette économie regroupe donc toutes les activités permettant à la fois de vivre pendant la pandémie et de sortir des crises (économique, financière, sociale et écologique) qu’elle nourrit.

Ces secteurs, ne regroupent pas que des activités distanciées ; il faut donc les aménager en conséquence, en apportant tous les moyens de protection à ceux qui y travaillent

Aujourd’hui, ces secteurs représentent, selon les pays, entre 40 et 70% du PIB ; et entre 40% et 70% de l’emploi. Ce sont ces ratios qu’il faut changer : il faut passer à 80%. Les ménages doivent dépenser une part plus importante de leur budget pour se soigner, se nourrir, apprendre ; les employeurs doivent augmenter la rémunération et le statut social de ceux qui y travaillent ; l’Etat doit soutenir les entreprises, grandes ou petites, qui travaillent dans ces secteurs.

C’est aussi vers cette économie de la vie qu’il faut réorienter les entreprises des autres secteurs, qui, aujourd’hui, attendent, en vain à mon sens, le retour de leurs marchés antérieurs : les entreprises automobiles, aéronautiques, celles du textile, de la mode, de la chimie, de la machine-outil, de l’énergie carbonée, du luxe, du tourisme, du spectacle vivant, de l’armement ne reverront pas leurs marchés antérieurs : même si on trouvait maintenant un vaccin et un médicament, il faudra deux ans au moins pour que tout retrouve un équilibre ; d’ici là, bien de ces entreprises mourront. Il ne serait donc pas acceptable de financer, sans limite de temps, des entreprises sans avenir.

Ces entreprises ne sont pourtant pas condamnées : si leurs dirigeants, et les dirigeants politiques et syndicaux, se mobilisent pour trouver des façons de rendre tout autrement le même service, et pour en rendre d’autres, dans les secteurs de l’économie de la vie. Toutes ont des compétences dont elles peuvent réorganiser l’usage. Le secteur du tourisme en donne déjà l’exemple.

Si, jusque très récemment, les secteurs de l’économie de la vie étaient faits principalement de services, et donc ne portaient pas de potentialité de croissance, (qui ne vient qu’avec l’augmentation de la productivité découlant de l’industrialisation d’un service), ces secteurs sont faits, aussi, de plus en plus, d’industries, capables d’augmenter leur productivité, et donc d’améliorer sans cesse leur capacité à remplir leur mission.

C’est en mettant tous les moyens dans l’économie de la vie qu’on évitera la pire récession de tous les temps et qu’on sortira le monde du cauchemar dans lequel il s’enfonce.

Cette idée commence à faire son chemin, dans quelques entreprises, et dans quelques pays. Quelques pays commencent à s’y risquer ; quelques entreprises commencent à comprendre que leur survie passait par leur reconversion dans l’un de ces secteurs.

Mais rien encore de massif, de systématique ; aucun pays n’a encore déclaré qu’il allait se focaliser sur ces secteurs, en leur donnant la priorité dans les crédits, les marchés publics, le financement de l’innovation. Et pourtant, tout passe par là : Il est plus que temps de passer de l’économie de la survie à l’économie de vie.

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