Nous ne sommes pas seulement confinés à cause de la pandémie. Nous sommes confinés par la pandémie. Elle ne nous enferme pas seulement dans un lieu ; elle nous enferme mentalement : il est impossible, pour beaucoup d’entre nous, de parler d’autre chose, de penser à autre chose, de s’informer sur autre chose. Même quand on vit autre chose, c’est dans la contrainte de la pandémie. C’est la pandémie qui restructure le paysage de notre travail, de notre vie privée, de notre avenir. C’est elle aussi qui structure les informations que nous recevons, dans tous les domaines. C’est elle qui structure nos droits et qui limite chaque jour davantage nos libertés et notre démocratie.
Et même si on croit s’en évader par la musique ou la lecture, elle est toujours là : en voyant des comédiens sur scène ou dans un film, on se prend à protester mentalement contre leur indiscipline, oubliant que ce film, ou ce concert, a été enregistré bien avant ces contraintes dont, pour beaucoup, nous sommes tellement obsédés qu’il nous arrive de penser qu’elles sont là depuis toujours.
Il est très important de sortir de ce confinement mental ; très important de penser vraiment à autre chose qu’à la pandémie et ses conséquences personnelles et collectives.
Sinon, le déconfinement ne sera qu’une illusion ; et nous serons comme l’escargot, qui ne sort de sa coquille que pour l’emporter sur son dos.
Ceci n’est pas un appel à l’insouciance : il serait suicidaire d’oublier les contraintes que nous imposent, pour un moment sans doute très long, cette pandémie. Mais cela ne nous oblige pas à ne vivre qu’à son rythme. La vraie liberté, c’est la maîtrise du temps.
C’est un appel à penser vraiment l’après. Non pas, comme trop souvent avec les pandémies, dans une repentance de tous les péchés qui nous auraient amené là : on entend trop de gens dire que, si on n’avait pas péché économiquement ou écologiquement, on n’en serait pas là. Comme on entendait, au Moyen-Age, des prêtres prêcher, avec la même véhémence et le même vocabulaire, que seule la confession de nos péchés pouvait avoir une chance de faire reculer la peste.
Penser l’après, c’est penser à notre condition. C’est penser ce que nous voulons vraiment faire de notre vie, si brève, si fragile, si pleine de surprise. Si rare aussi. Le penser non dans la peur de mourir, mais dans la jubilation de vivre. De vivre chaque instant, gaiment. Avec le sourire du condamné à mort, que nous sommes tous. Dans la gratitude à l’égard de ceux qui rendent possible l’avenir, et la volonté de créer un monde où ces catastrophes, sans doute inévitables, seraient si bien préparées qu’on n’aurait pas à s’en inquiéter, ni avant, ni pendant. Ni pour nous. Ni pour nos enfants et nos petits-enfants. Et pour cela, trouver en quoi on est unique. En déduire ce qu’on va faire du très bref temps qu’on a sur cette planète. Et créer les conditions pour qu’on puisse vraiment le faire, en évitant le retour d’une telle prison de l’esprit et du corps. Pour soi, et les prochaines générations.
Alors, s’impose une évidence : se déconfiner vraiment, c’est tout faire pour ne pas avoir à l’être de nouveau.
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