Comme le dit en 1963 Harold Macmillan à Alec Douglas-Home en lui cédant son bureau au 10 Downing Street : « Notre pays va très bien. Et, tant que vous n’envahirez pas l’Afghanistan, tout ira aussi très bien pour vous. » Conseil que John Major n’a sans doute pas transmis à Tony Blair.
Et pourtant, les trois premières déroutes anglaises en Afghanistan auraient dû l’ alerter : comme l’explique l’historien écossais William Dalrymple dans son livre (Return of a King: the Battle for Afghanistan 1839-42), la quatrième guerre anglo-afghane, commencée en 2001, est un extraordinaire remake de la première, commencée en 1839 : par exemple, le président afghan de 2004 à 2014, Hamid Karzai, était de la même sous-tribu des Popalzai que le fantoche que les Anglais avaient installé en 1839, Shah Shuja ul-Mulk. Et Mohammad Shah Khan, le chef militaire qui dirigea l’extermination de l’armée britannique en 1841 était l’héritier de la même dynastie (les Hotaki, dirigeants des Ghilzai, une des composantes du peuple pachtoune) que le principal dirigeant des Talibans, Mullah Omar, assassiné en 2013.
En choisissant des chefs sans connaitre la réalité d’une civilisation et d’une histoire, en prétendant imposer une démocratie par des chefs corrompus et une armée extérieure, il était clair que la coalition occidentale n’avait pas plus de chance qu’il y a cent cinquante ans d’installer une démocratie pérenne et légitime dans ce pays.
Ce n’est pas le premier pays à qui cela arrive : dans le passé, il y a eu d’autres échecs, dans la transition vers une démocratie durable, de dictatures, ou de pays colonisés, ou envahis ; ainsi, parmi bien d’autres, de l’Algérie, de l’Egypte, de la Russie ou de l’Irak.
Il y a eu aussi des exemples de réussite : des démocraties se sont installées durablement après des périodes de dictature (l’Espagne, le Chili, l’Albanie, certaines parties de l’ancienne Yougoslavie) ; d’autres après une occupation par une puissance étrangère (l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, les pays de l’Est de l’Europe, le Japon, la Corée) ; d’autres encore après une période de colonisation (l’Inde, le Nigeria, la Cote d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana, et d’autres encore, en Afrique et en Amérique Latine), parfois bien après le départ des colonisateurs.
Et aujourd’hui ? Bien des pays sont menacés de retomber dans la dictature ; ou de ne pas en sortir si les Occidentaux leur retirent leur soutien : Qu’arrivera t il au Mali, si l’armée française se retire ? A Taiwan si l’armée américaine enlève son bouclier ? Au Liban, si l’aide tant espérée n’arrive pas ? Et même à l’Inde, dont la démocratie semble bien chancelante, comme le deviennent chaque jour davantage celles de la Hongrie et de la Pologne ?
Que faire pour éviter ces désastres ? Comment tirer une leçon constructive du désastre afghan ?
Les exemples du passé montrent qu’un pays ne peut réussir une transition durable vers la démocratie en se la faisant imposer par le haut par des forces étrangères, sans tenir compte de son histoire, de sa diversité culturelle, de l’existence d’un sentiment national, d’une société civile, d’un désir de vivre ensemble, d’un groupe puissant décidé à se battre pour la maintenir ; et sans une réelle libération des femmes et des jeunes de la dictature du patriarcat.
Ensuite il est clair qu’il est plus facile de devenir une démocratie quand les voisins le sont déjà ; d’où les réussites démocratiques, même encore fragiles, en Europe de l’Est, en Amérique latine, et dans une partie de l’Afrique. Et, d’autres plus difficiles, dans des pays comme l’Arménie.
Ensuite encore, on ne peut construire une démocratie si on n’érige pas en priorité absolue l’éducation, le droit des femmes, la participation honnête de tous aux décisions publiques et la lutte contre la corruption et le népotisme.
Ensuite encore quand l’aide internationale n’est pas conditionnée à une évolution vers la démocratie et les droit de la personne, ce que ne font presque aucun pays donateur et aucune institution financière internationale (à l’exception de l’OCDE, qui effectue un travail compétent et discret de formation et de conseil, même à l’égard de pays qui n’en sont pas membres).
Enfin, quand la démocratie se révèle incapable de gérer les enjeux du long terme, se complaisant dans des petits débats politiciens. A ce compte-là, toutes les démocraties, même la nôtre, sont menacées…
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