Le succès populaire et mondial des premières photos parvenues depuis le nouveau télescope James-Webb nous dit beaucoup de l’état du monde.
Ce télescope, lancé par une fusée Ariane 5 depuis le centre spatial de Kourou en décembre dernier, est d’abord un magnifique exemple d’une coopération scientifique de très haut niveau entre des pays ayant choisi de donner toute sa place à la science. C’est l’occasion de montrer que les démocraties, quand elles le veulent, sont toujours à l’avant-garde de la science la plus extrême.
Ce télescope, le plus grand jamais envoyé dans l’espace, positionné à 1,5 millions de kilomètres de la Terre, permet d’observer et de photographier, avec une précision huit fois supérieure à toutes les tentatives antérieures, des galaxies se trouvant à 13 milliards d’années-lumière de la Terre. Et pas seulement des photographies visibles à l’œil nu, mais aussi en infrarouge contenant des informations infiniment précieuses.
Beaucoup de gens ont pu penser qu’il y avait un meilleur usage des quelques milliards qu’a couté ce projet. Je ne le crois pas. Au-delà de l’immense vertige poétique que provoquent ces premières images, au-delà de la conscience de l’unité de l’espèce humaine, de l’importance du temps long, de la vanité de nos querelles et de nos folies, on se prend à rêver, avec les spécialistes qui les étudient, à ce qu’on va apprendre sur la nébuleuse d’Orion (ce nuage visible à l’œil nu, grand comme quatre fois la Lune, au sein de la galaxie d’Orion et qui renferme d’innombrables étoiles très jeunes, pouponnière d’étoiles la plus proche de nous, à 1350 années-lumière), sur le Quintette de Stephan (ce groupement de galaxies constitué de milliards d’étoiles, situé à 290 millions d’années-lumière, dans la constellation de Pégase) ou sur la composition chimique de la planète géante gazeuse WASP-96b, (qui aurait beaucoup à nous apprendre sur la composition chimique de notre propre système solaire). Sur ce que tout cela va nous aider à comprendre de la façon dont naissent et meurent les galaxies les étoiles et les planètes, dont la vie peut surgir ou disparaitre quelque part, en particulier sur les conditions d’équilibre extraordinaires improbables qui ont fait que la vie a pu surgir, et se maintenir, sous des milliards de formes et d’organismes, sur cette planète.
Il va nous permettre aussi d’avoir une idée un peu plus précise de ce qu’était l’Univers quelques 700 millions d’années seulement après le début théorique de l’Univers, et même peut-être plus tôt encore, lors des premières fractions de la première seconde de l’Univers ; et aussi de l’existence possibles d’autres univers simultanés ou antérieurs au notre.
Enfin, il va nous permettre de mieux comprendre dans quelques conditions improbables une conscience a pu se développer assez, dans une des dix puissance 22 (dix suivi de 21 zéros) étoiles qui forment l’univers pour qu’elle puisse se poser ces questions, même si les réponses sont encore hors de portée.
Car cela nous donne avant tout une réponse, et à mon avis la meilleure possible aujourd’hui, la seule possible même, à la question de savoir quelle est la raison d’être de la vie sur la Terre, et à l’importance de la protéger : nous ne sommes là que pour rendre notre monde le plus vivable possible, le plus longtemps possible, à des générations d’êtres humains les mieux formés aux exigences de la raison, capables de travailler ensemble, avec le reste de la nature, pour construire assez de savoir collectif, et peut être même de conscience collective, pour élucider cette raison d’être, et percer ce que certains nomment le Mystère. Oui, notre raison d’être est de nous donner les moyens de comprendre notre raison d’être. C’est peu ? C’est gigantesque.
Et c’est vrai pour l’humanité comme pour chacun de nous : il appartient à chacun de nous, avec l’aide des autres, de comprendre notre propre raison d’être, et de la réaliser.
C’est même, je crois, le propre de l’humanité que d’avoir assez foi en elle-même et en la raison pour penser que, même s’il ne la connait pas encore, sa raison d’être existe, individuelle et collective. Et qu’il faut protéger absolument la vie, l’intelligence, et la conscience, pour la trouver. Même si cette raison d’être, ultimement, pourrait ne pas être du domaine de la raison…
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