Pendant que l’attention du monde est attirée par des tragédies d’une très grande gravité géopolitique, comme en Ukraine, ou d’une certaine tristesse dynastique, comme en Grande-Bretagne, se déroule, plus à l’Est, la pire inondation que l’humanité a connu depuis des années, annonciatrice de ce qui nous attend tous, si on ne change pas radicalement de mode de développement.
Au Pakistan, se sont accumulés , depuis le début de l’été, dans l’indifférence du reste du monde, tout une série d’évènements climatiques gigantesques, qui auraient chacun suffit pour créer une catastrophe : D’abord, une chaleur intense, (la température a atteint 51 degrés à Jacobabad, niveau jamais atteint jusqu’ici dans l’hémisphère nord) ; cela a entrainé une fonte beaucoup plus massive que d’habitude des glaciers de l’Himalaya, dont les eaux ont déferlé vers l’Indus, détruisant au passage un grand nombre de barrages et d’installations agricoles, dans cette région qui nourrit le pays. A suivi une mousson particulièrement sévère, à laquelle s’est ajoutée une très profonde dépression en mer d’Arabie, qui a aggravé les pluies. Au total, il est tombé au Pakistan en 2022 deux fois plus d’eau qu’en moyenne annuelle ; cinq fois plus dans les provinces du Sud. Et comme la sècheresse de l’air a provoqué celle des sols, l’eau n’a pu être absorbée et les inondations ont commencé. Immenses : elles recouvrent aujourd’hui plus du tiers du territoire du pays, soit l’équivalent de la surface de la Grande Bretagne ; dans le sud du pays, un nouveau lac gigantesque s’est formé.
On a retrouvé plus de 1500 corps, qui ne sont sans doute qu’une petite partie des victimes. Plus de trente millions de personnes ont dû quitter leurs domiciles, détruits ou endommagés ; seul un million d’entre eux ont pu être relogés dans des camps de fortune ; les autres errent aujourd’hui pour la plupart sans domicile, dans la boue et le néant. Dans ces régions, il n’y a plus non plus évidemment d’hôpitaux et d’école .Pas non plus de nourriture ni d’eau potable. Les secours ne peuvent arriver car plus de 6 000 kilomètres de routes sont impraticables et plus de 250 ponts ont été détruits. Les dégâts sont estimés à plus de 30 milliards de dollars. Et les appels à la communauté internationale n’ont pas permis pour le moment de rassembler beaucoup plus que le centième de cette somme.
De plus, personne n’ose poser ouvertement la question qui s’impose : faut-il reconstruire le Pakistan si c’est pour qu’une autre catastrophe climatique, qui ne peut manquer de se reproduire, vienne, dans cinq ou dix ans, ou moins, redétruire ce qui aurait été reconstruit ?
Alors, faut-il abandonner les Pakistanais à leur sort ? Ce serait d’une grande injustice : les Pakistanais ne sont pour rien dans la crise climatique : S’ils sont 220 millions, soit 3% de la population mondiale, ils ne sont responsables que de moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Que vont-ils devenir ? Va-t-on regarder mourir de faim, de manque d’eau, de maladie, 30 millions de personnes ?
Dans les pays développés, et en France en particulier, on ne reconstruit pas en zone inondable, et on fait tout pour reloger, et parfois indemniser, ceux qui doivent quitter une résidence parfois ancestrale. Pourra-t-on, voudra-t-on le faire pour les Pakistanais ? Pourra-t-on, voudra-t-on, les reloger ailleurs ? Non, évidemment. Beaucoup mourront ; des milliers, sinon des millions d’entre eux émigreront. Mais où ? Prend on la mesure de ce que cela signifie pour ce pays, pour le sous-continent indien, pour le Moyen Orient voisin, pour le monde ?
Quand comprendra-t-on que cette situation est de notre responsabilité et qu’elle nous concerne tous ? Que, si nous ne faisons rien pour empêcher l’aggravation de la situation climatique, c’est à dire pour cesser au plus vite d’utiliser des gaz à effet de serre, on connaitra de plus en plus de catastrophe de ce genre.
Quand comprendra-t-on qu’il nous faut, sans attendre 2050 ou même 2030, réduire drastiquement notre consommation de carburants fossiles ?
Quand comprendra-t-on aussi qu’on ne pourra pas prétendre se contenter de s’adapter à un niveau beaucoup plus élevé de la température ? L’humanité ne pourra pas vivre à un niveau de température qui déclencherait des catastrophes condamnant des centaines de millions d’humains à voir leurs vies entières basculer dans le néant à intervalles réguliers.
Cela n’est pas sans relation avec les autres évènements qui nous concernent plus directement, évoqués en commençant : c’est en Grande Bretagne qu’a commencé l’usage immodéré de combustibles fossiles ; et c’est en Ukraine que se joue l’accélération de notre réduction de consommation de ces poisons.
Nous sommes tous concernés par ce qui se passe dans ce pays. Nous sommes tous des Pakistanais.
j@attali.com