Tout commença en 1992 quand 178 pays, réunis à Rio de Janeiro, pour la conférence décennale de l’ONU sur l’environnement et le développement, signèrent une déclaration et une convention donnant une première définition officielle du développement durable et exprimant la nécessité de « réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de minimiser l’impact humain sur le changement climatique ». À partir de 1995, à Berlin d’abord, puis chaque année ensuite, les pays signataires de la convention de Rio se réunirent pour faire le point sur la lutte contre le changement climatique. Et, comme à Rio, y vinrent aussi chaque année, ONG, entreprises, et villes, qui travaillent sur ce sujet.

Tout commença très bien : dès la réunion de Berlin, on fixa des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, région par région. L’année suivante, à Genève, on publia le deuxième rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et la déclaration finale de cette COP énonça que : « les changements climatiques représentent un danger pour l’humanité ». L’année suivante, à Kyoto, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, fut élaboré un protocole contraignant, visant à encadrer les émissions de CO2 de plus d’une centaine de pays : il s’agissait de réduire d’ici 2020 de 5,2% les émissions de gaz à effet de serre en se servant de l’année 1990 comme référence. Pour l’Union européenne, cet objectif se traduisait par une baisse de ses émissions de 8%.

Dès l’année suivante, le processus s’endormit ; et il fallut attendre 2015, pour que la COP21, à Paris, fixe l’objectif très ambitieux de contenir l’augmentation de la température moyenne mondiale « bien en dessous de 2 °C » par rapport à l’ère préindustrielle ; sans pour autant imposer des normes quantitatives, et encore moins de sanctions en cas de non-respect. Depuis lors, rien, sinon des constats alarmants et des COP sans importance, devenues de simples occasions de faire le point sur le désastre en marche et de multiplier les opérations de greenwashing.

Car le désastre est en marche : à la veille de l’ouverture de cette 28ème  COP, à Dubaï, fin novembre 2023, les températures mondiales ont été, selon Copernicus, pendant deux jours, de 2,07 °C au-dessus de la moyenne de 1850 à 1900. Et le changement climatique, bien réel, se traduit déjà partout par des feux incontrôlables, des inondations dévastatrices, des sécheresses, des canicules, rendant des régions inhabitables et transformant des événements aléatoires en certitudes, rendant par ailleurs impossible de s’assurer contre des risques devenus des évènements certains ; et, plus encore, créant les conditions de la multiplication et de l’aggravation des conflits pour l’eau, la terre, l’alimentation, qui se multiplient en ce moment.

Et pour l’avenir, ce n’est pas mieux : un rapport de l’ONU, publié mi-novembre 2023, conclut que les engagements actuels des pays mènent à seulement 2 % de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des 43 % préconisés en 2015 pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. L’ONU en conclut que nous sommes désormais sur une trajectoire d’augmentation d’au moins 2,9 °C d’ici 2100. En fait, beaucoup plus : sans doute 4 °C au moins si on continue ainsi.

Pour éviter ce scénario du pire, qui menacera l’existence même de l’humanité, le secrétaire général de l’ONU a réclamé des « mesures spectaculaires, maintenant ».       

En ce moment de grande urgence, que peut-on attendre alors de cette conférence ? Pas grand-chose : les compagnies pétrolières y seront très présentes, souvent intégrées dans les délégations nationales et veilleront au grain ; on y fera de belles déclarations, on dira qu’il faut augmenter massivement la production de panneaux solaires et d’éoliennes, (ce qui servira avant tout les intérêts chinois), et on ne dira rien qui pourrait exiger des compagnies pétrolières de se réorienter. On se contentera de murmurer qu’on pourrait ramener la hausse de 2,9 à 2,5 °C si les pays riches fournissent les moyens nécessaires aux pays pauvres ; et, signe d’impuissance absolue, on insistera sur la nécessité de se préparer au pire, et de prévoir des mesures de compensation des catastrophes inévitables à venir.

Presque personne ne dira qu’il faudrait aller bien plus loin qu’un simple remplacement d’une source d’énergie par une autre, et qu’il faudrait changer radicalement notre mode de développement. Pour que l’« économie de la vie » (dont font partie les énergies renouvelables, avec la santé, l’éducation, l’agriculture saine, le digital, la recherche, la sécurité, la défense, et la démocratie), soit rendue, par la fiscalité et la réglementation, plus rentable que l’« économie de la mort » (où l’on retrouve tout ce qui découle de l’énergie fossile, de la chimie au textile, et tout ce qui contient des sucres artificiels, des produits agricoles transformés, et toutes sortes de drogue).

Là devrait être le vrai débat de la COP28 : comment se mobiliser pour se débarrasser au plus vite de l’« économie de la mort » ?  Je crains que, comme depuis trente ans quand tout cela a commencé, on continue à ne pas en parler. Et qu’on continue de foncer vers la catastrophe, en regardant ailleurs… Comme j’aimerais avoir tort !

j@attali.com

Image : les marais mésopotamiens mis en péril par la sécheresse. © Crédit photo : ASAAD NIAZI/AFP.