On mesure la force d’une Nation à bien des critères. Et il en est un auquel on ne prête pas assez attention alors même qu’il est essentiel : la capacité à garder et à attirer les talents.
Le classement fourni depuis 2013 par l’INSEAD (associé à une fondation suisse et une autre singapourienne) donne une idée très intéressante de ces enjeux, même si sa définition des « talents » est à mon goût beaucoup trop restrictive (il se réduit pour l’essentiel à l’employabilité, aux diplômes et à la capacité à innover technologiquement).
Selon ce classement, la Suisse, Singapour et le Danemark sont les pays les plus attractifs. Les États-Unis se classent au 4ème rang, suivis de plusieurs pays d’Europe du Nord tels que la Suède (5ème), les Pays-Bas (6ème), la Norvège (7ème) et la Finlande (8ème). Viennent ensuite l’Australie (9ème), le Canada (15ème) et la Nouvelle-Zélande (18ème). La France n’est qu’au 19ème rang. Parmi les autres pays classés dans les 25 premiers, on trouve les Émirats arabes unis, la Corée du Sud et Israël. Derrière, quelques pays commencent à se manifester de façon fort convaincante : la Chine, l’Indonésie, l’Arabie saoudite et le Mexique.
Ce classement est fort révélateur : il rappelle en particulier à tous les esprits chagrins qui l’ont oublié, que l’Europe est globalement, avec les États-Unis, le meilleur endroit au monde où vivre, créer, travailler ; un continent béni des Dieux et envié de tous ceux qui n’y vivent pas.
La France, qui se traîne autour du 20ème rang depuis le début de ce classement, ne fait, malgré tous les discours, pas grand-chose pour attirer les talents, de quelque nature qu’ils soient : une politique des visas indiscriminée et absurde, une fiscalité bien moins séduisante que celle de plusieurs de nos voisins, une plus grande difficulté qu’ailleurs à réussir quand on n’a pas les codes et les réseaux, une xénophobie trop présente… Tout cela n’encourage pas les talents à venir, et un jeune francophone qui a la niaque pense de plus en plus à délaisser la France pour partir au Canada, en Australie, aux États-Unis ou dans l’un des pays d’Europe du Nord. Plus généralement, et contrairement à ce qu’on claironne ici ou là, la France n’attire ni les investissements étrangers (moitié moins que l’Allemagne), ni les artistes, ni les chercheurs, ni aucun de ceux qui peuvent faire bouger un pays.
On pourrait enrichir cet indice et ce classement en y intégrant des éléments moins quantitatifs, comme la place faite aux non-diplômés souhaitant créer leur entreprise ou développer une idée, la tolérance à l’égard des pensées différentes, l’acceptation des minorités et plus encore en considérant que le principal talent, c’est la motivation ; une chose qui ne s’apprend pas à l’université.
Ce sont par ces talents-là, moteurs du changement, que se décidera l’avenir d’un modèle de développement, que s’organiseront les institutions politiques et qu’évolueront la croissance économique, les mécanismes de renouvellement des élites et la capacité d’y inclure le plus grand nombre. C’est d’eux que dépendra l’essentiel de l’avenir.
Dans un monde où, par nature, les talents sont de plus en plus nomades, ce classement évoluera bientôt beaucoup plus vite. Et des pays aujourd’hui très accueillants pourraient cesser de l’être. Par exemple, si la politique suicidaire du gouvernement israélien actuel continue, une partie de l’élite de ce pays pourrait aller vivre et travailler ailleurs. De même, si l’antisémitisme qui s’installe en Grande-Bretagne s’impose durablement, une grande partie de la communauté juive anglaise, et en particulier ses chercheurs, ses enseignants et ses artistes, pourrait bientôt se demander si elle a encore sa place dans ce qui fut la plus vieille démocratie du monde, largement démonétisée par le Brexit.
De même encore, les États-Unis pourraient, un jour, cesser d’être attractifs si l’intolérance qui s’y installe dans quelques universités y triomphe durablement et se diffuse dans toute la société ou si un pouvoir politique totalitaire y prenait le pouvoir. Toutes ces hypothèses ne sont pas à exclure. Les talents trouveraient d’autres lieux de refuge, comme ils l’ont fait dans les décennies les plus sombres des siècles passés. Pour le plus grand bénéfice de ceux qui sauront les attirer…
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