Parmi toutes les activités des humains, deux au moins, parmi les plus importantes et les plus difficiles, peuvent être exercées parfaitement légitimement sans la moindre formation : parent et politicien. Et c’est une erreur.

S’il est évident, pour moi, qu’on ne peut exiger ni de diplôme, ni de formation, ni de niveau de revenu, ni de statut social, pour avoir le droit d’avoir des enfants, on peut sans doute proposer, financer, inciter, sinon imposer aux futurs parents une formation à toutes les dimensions des relations avec un enfant : affective, hygiénique, nutritionnelle, pédagogique. Pour le moment, même dans les pays les plus avancés en la matière, comme la Finlande, on ne trouve que des programmes de formation volontaire, sous forme de groupes de discussion dans les maternités ou ailleurs, des ressources en ligne, des centres sociaux, des associations de parents d’élèves ; même s’il existe quelques entreprises privées de formation à la parenté. La société aurait tout à gagner à faire beaucoup plus. Cela permettrait d’éviter bien des maltraitances, bien des maladresses, bien des erreurs, bien des déviances, aux conséquences incalculables sur la santé physique et mentale des enfants, et sur la façon dont ceux-ci se conduiront à leur tour comme parents.

De même, pour devenir politicien, aucun diplôme, aucune formation n’est obligatoire, ni même recommandée. Évidemment, on ne doit pas imposer des diplômes, ce qui reviendrait à instituer une nouvelle sorte de système censitaire, dans lesquels seuls les riches avaient le droit de faire de la politique. Il existe, certes, dans la plupart des pays démocratiques, des formations s’adressant aux élus, en particulier aux élus locaux, mais elles sont souvent tout à fait dérisoires : quelques heures de cours en tout. C’est loin d’être suffisant. Il faudrait une formation bien plus conséquente, pour tous les élus, qu’ils soient dans une fonction délibérative ou exécutive. Par exemple, les candidats aux prochaines élections européennes devraient pouvoir bénéficier, sinon justifier même, d’une formation aux enjeux et aux arcanes de l’Union européenne et de ses institutions.

Pour l’un comme pour l’autre, existe aussi un autre problème, tout aussi important : de moins en moins de gens veulent être parents. De moins en moins de gens veulent exercer des responsabilités d’élus. Aucune société ne peut survivre à cette menace.

Pour la parentalité, l’enjeu est majeur : la démographie est partout en déclin et tous les pays tâtonnent quant aux choix des meilleures réponses : faut-il accorder de plus longs congés de parentalité ? Plus de moyens financiers aux parents pour mieux se loger ? Plus de moyens aux crèches, aux écoles, au périscolaire ? Tout cela est sans doute nécessaire mais ne suffira pas à donner envie de mettre au monde des enfants dans un siècle difficile, en particulier en raison de la crise climatique. Il faudra aussi que les parents se sentent respectés par la société, et par leurs enfants ; qu’ils se sentent appréciés ; que leur rôle, lorsqu’ils le remplissent bien, soit valorisé et glorifié. Et qu’il soit bien plus facile qu’aujourd’hui de retrouver un poste équivalent quand on a consacré du temps à élever des enfants.

Pour l’exercice de responsabilité, de la même façon, on a partout du mal à susciter des candidatures pour des élections locales et nationales. Si on ne trouve pas trop difficilement des candidats à des postes de parlementaires, de très nombreuses catégories sociales y sont de moins en moins représentées : de moins en moins de syndicalistes, de chercheurs, d’ingénieurs, de cadres, de médecins, d’avocats, d’intellectuels, de journalistes, d’écrivains, sont intéressés. Là encore, il ne suffira pas d’augmenter leurs revenus (et ce n’est peut-être pas partout nécessaire). Il faudrait plutôt faciliter leur retour dans leurs activités antérieures après l’exercice d’un mandat (sans pour autant rouvrir la voie à des conflits d’intérêt, qui ont fait tant de mal à la vie publique, et qui continuent d’en faire dans bien des pays, en particulier dans les pays anglosaxons). Plus encore, il faudrait créer les conditions d’un plus grand respect des élus : personne n’a envie de se faire insulter, traîner dans la boue, traiter de menteur, de voleur ; et pire encore, d’y exposer sa famille. Des sanctions plus sévères contre les insultes en ligne, contre la diffamation devraient être étudiées ; sans évidemment revenir sur le droit imprescriptible des journalistes à rechercher la vérité et à mettre les élus face à leurs erreurs, ou pire, leurs turpitudes.

Aucune communauté humaine ne survivra sans parents et dirigeants bien préparés et respectés.

j@attali.com

Image : Big Média.