Les élections du 9 juin ne sont pas des élections européennes. Elles sont juste une juxtaposition de consultations nationales, avec un prétexte européen.
À observer ce qui se passe dans chacun des 27 pays de l’Union européenne, on peut en effet faire ce constat : ceux des électeurs qui vont aller voter le 9 juin n’iront pas élire des représentants au Parlement européen. Presque aucun d’entre eux ne serait d’ailleurs capable de décrire ce que sont les enjeux européens d’une telle élection ni de nommer les candidats des différentes listes (à part celui ou celle qui les incarne). Ils vont aller y dire ce qu’ils pensent des enjeux nationaux du moment, qui, la plupart du temps, n’ont aucune relation avec des enjeux européens. Ils vont donc, en général, exprimer leur positionnement politique général à l’égard des gouvernants et des opposants. Dans de nombreux de pays de l’Union, et en particulier en France, ils diront leur ressentiment contre ceux qui gouvernent ; d’autant plus aisément que ces élections n’auront, dans la plupart des cas, aucun impact réel sur la composition du gouvernement ou la nature de la politique suivie. C’est en cela que ce n’est pas une élection européenne, ni même une élection nationale, mais juste une juxtaposition de consultations nationales sans conséquences sérieuses ; ni même d’ailleurs européennes : le centre de gravité du Parlement européen n’en sortira pas profondément modifié.
Cette désaffection s’explique aisément : l’Union européenne n’a pas encore réussi à devenir un véritable marché unique en politique, comme elle n’y est pas parvenue dans d’innombrables autres domaines : les télécoms, la banque, ou l’énergie. Il n’y a pas de partis européens. Comme on ne peut pas constituer de groupes transnationaux dans les domaines industriels vitaux, on ne peut voter en Europe que pour des députés de son propre pays.
On peut alors comprendre que beaucoup de gens ne s’y intéressent pas. Et que, s’ils vont aux urnes, c’est juste pour exprimer leur solidarité avec le parti dont ils se sentent le plus proche dans leur pays ; et ces élections ne seront alors qu’une manifestation parmi d’autres d’une suicidaire juxtaposition de narcissismes anachroniques.
Un vrai Parlement européen devrait être composé de représentants de partis présents dans tous les pays de l’Union, avec des listes transfrontalières, avant autant de candidats que de sièges au Parlement, qui ne représenteraient pas un pays mais un courant de pensée. Ces députés pourraient continuer d’être élus sur des listes nationales, mais pas être eux-mêmes nécessairement citoyens de ce pays : personne n’exige, en France, dans une élection nationale, qu’un candidat en Bretagne soit breton, ou qu’un candidat en Corse le soit, même si c’est souvent mieux vu de l’être.
Tant qu’on n’aura pas tout fait pour unifier les marchés des marchandises (ce dont parle si éloquemment le nouveau rapport de Enrico Letta) et des idées, tant qu’on ne votera pas sur des listes européennes complètes, pour 705 candidats, pour tout le Parlement, tant qu’il n’y aura pas de possibilité de faire son service militaire ou son service civique dans un autre pays que le sien, tant qu’on connaîtra si peu la culture des autres, tant qu’on ne se sera pas approprié des enjeux communs, on ne pourra pas parler véritablement d’élections européennes.
Pourtant nos enjeux communs sont innombrables :
Ils sont militaires : que fera-t-on si Poutine envahit l’Ukraine ou si même, il envoie des troupes en Moldavie ou dans un Etat balte ?
Ils sont démographiques : que fera-t-on quand la population du continent déclinera et que nous n’aurons plus les moyens de payer les retraites ?
Ils sont économiques : que fera-t-on quand nos principales entreprises se seront entretuées au lieu de s’allier contre leurs concurrents non européens ?
Ils sont idéologiques : que fera-t-on quand notre Histoire et notre système de valeur seront dénoncés comme barbares par nos anciennes colonies, dont beaucoup auront oublié qu’elles aussi, antérieurement, ont très souvent colonisé ou esclavagisé leurs voisins ?
Quand on aura réalisé que ce petit canton de l’univers a un destin commun ; que, séparées, les sociétés européennes déclineront et qu’elles ne pourront survivre qu’ensemble, alors, le meilleur sera devant nous.
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Image : Reuters/ Vincent Kessler.