Trop souvent, quand on observe un phénomène, on oublie de se poser deux questions pourtant essentielles : est ce nouveau ? Est-ce que cela existe ailleurs ? Pourtant, les comparaisons dans le temps et dans l’espace apportent énormément à l’analyse prospective. Par exemple, on ne peut juger de ce qui s’est passé pendant le COVID en France sans savoir comment les épidémies passées ont été traitées et comment celle-là a été traitée ailleurs ; on se rendrait compte alors que la Corée du Sud avait pris les bonnes dispositions dès début décembre 2019 et que c’était elle dont il fallait suivre l’exemple, et non pas la Chine, qui mentait et paniquait.
De même, aujourd’hui, s’étonner de la présence de milliardaires autour du président américain, c’est ne rien connaître du passé et du présent.
Dans le passé, il y a eu des milliardaires près du pouvoir, dans d’innombrables pays, et certains se sont mêlés d’exercer eux-mêmes des fonctions politiques. Ainsi des Médicis à Florence, des Dandolo à Venise, des Borgia à Rome ; des Cavendish, des Churchill-Spencer et des Rothschild en Angleterre ; des Fouquet, Colbert, Necker, Pereire, Schneider en France ; des Fugger, Warburg, Krupp, Thyssen en Allemagne ; des Soong dans la république de Tchang Kai Chek ; des Manikongo, Askia, Agoli-Agbo, Shaka et Keita en Afrique ; et de toutes les familles régnantes des monarchies pétrolières. Aux Etats Unis, c’est le cas des Rockefeller, Carnegie et Morgan aux Etats-Unis ; et l’’influence du complexe militaro industriel y a été mille fois dénoncé, en particulier par le président Dwight Eisenhower, en quittant la Maison Blanche le 17 janvier 1961, pour la laisser à John Kennedy, lui-même héritier d’une très riche famille.
D’autres familles, arrivées pauvres au pouvoir, sont ensuite devenues durablement riches et influentes, comme les Bonaparte en France, les Bragance au Brésil, les Tokugawa au Japon.
Aujourd’hui, les dictateurs sont très souvent une des premières fortunes de leur pays, comme l’est Vladimir Poutine en Russie et tant d’autres ailleurs. De même, dans les démocraties d’aujourd’hui, dont la France, les très riches ne sont pas sans influence politiques, directe ou par médias interposés. Aux Etats-Unis, en particulier, les banques, les entreprises proches de l’armée et du pétrole font encore la pluie et le beau temps. Jusqu’à dicter la politique étrangère et la posture de défense.
La dialectique entre les riches et les puissants est pratiquement toujours la même : les riches soutiennent les puissants aussi longtemps qu’ils en retirent des bénéfices, sous forme de marchés publics, de réglementations favorables, de privilèges fiscaux ou d’accès à des cibles convoitées. Les puissants, eux, s’appuient sur les riches pour accéder au pouvoir, ce qui leur permet de devenir riches eux-mêmes et de se confronter aux riches jusqu’à les rabaisser (comme les milliardaires chinois, dont Jack Ma), les mettre en prison (comme Fouquet ou plus récemment les oligarques russes, tel Khodorkovski) ou les voir tomber malencontreusement d’un balcon.
Ce qui se passe aujourd’hui aux Etats-Unis n’a donc rien d’original : Des milliardaires appuient un candidat, lui-même millionnaire devenu milliardaire par un premier passage au pouvoir. Ces milliardaires attendent de ce président qu’il serve leurs intérêts, sous forme de marchés publics, de réglementation et d’une fiscalité favorable et d’une menace sur les autres pays s’ils veulent nuire à leurs intérêts. On verra ce président menacer ses alliés européens et asiatiques s’ils veulent réguler les entreprises de Musk et Zuckerberg. En échange, il attend de ces soutiens qu’ils servent son pouvoir, en lui permettant de réaliser son rêve de domination du monde. Il est pour le moment beaucoup plus puissant qu’eux : si les huit premières entreprises américaines pèsent en bourse l’équivalent de 20% du PIB mondial, leurs profits, seule donnée comparable, est inférieure à 1% du PIB mondial.
Les précédents, dans le temps et dans l’espace, permettent de prévoir que ces milliardaires vont devenir de plus en plus riches, qu’ils exigeront du président une politique intérieure, des marchés publics et une politique étrangère à leur service. Qu’ils s’opposeront à des mesures qui les gêneront (sur les migrants dont ils ont besoin, sur les voitures électriques qu’ils vendent, sur des pays avec qui ils voudront commercer). Que ce président fera tout pour devenir plus riches qu’eux, et pour les faire tomber, le moment venu. Il a déjà commencé en créant son propre bitcoin sous le nom de $Trump, dont il espère tirer des centaines de milliards.
Qui l’emportera ? Dans un premier temps, le président Trump sera le maître, et se contentera de s’appuyer sur ces milliardaires. Certains d’entre eux demanderont qu’il reste plus longtemps au pouvoir, pour les servir, en expliquant que la démocratie est un moins bon mode de gouvernement que celui de l’entreprise, surtout quand le patron en est propriétaire.
Si Trump réussit à prolonger son pouvoir au-delà de quatre ans, ou à installer un de ses fils à sa place, ce qui semble peu vraisemblable (malgré le précèdent Bush et la tentative Kennedy) il fera comme tous les dictateurs et se débarrassera de ceux qui l’auront porté au pouvoir et qui pensaient en faire leur marionnette.
Plus vraisemblablement, il n’y parviendra pas, même si je suis convaincu qu’il essaiera.
Le sort du monde sera différent selon que le président Trump aura été assez puissant, dans les quatre années à venir, pour les maîtriser ; ou que ceux-ci auront réussi à lui échapper parce que leur terrain de chasse est mondial, et parce qu’ils dépendront moins que leurs prédécesseurs des commandes publiques.
Dans le premier cas, d’autres oligarques les remplaceront auprès du président suivant, sans doute une nouvelle fois liés à l’armée et en particulier la cyberdéfense. Dans le second cas, les oligarques d’aujourd’hui, devenus plus puissants que le président américain, quel qu’il soit, se voudront les maîtres de Washington et du monde.
Même si bien d’autres paramètres viendront compliquer cette équation, il ne faudra pas perdre de vue ce dilemme : Le monde aura bientôt le choix entre une dictature de Trump ou une dictature des oligarques américains. Les deux étant, un jour prochain, engagés dans une lutte à mort. Et avec ces gens-là, on ne négocie pas. On affronte.