Les discussions sans fin sur le nombre de migrants qu’il convient d’admettre occupent les médias de tous les pays : certains disent qu’il en faut plus pour occuper les postes inoccupés par insuffisance de compétences ou par refus des nationaux de remplir ces tâches. D’autres rétorquent qu’il faut mettre d’urgence fin à ce qu’ils nomment « une invasion insupportable » qui détruirait l’identité du pays d’accueil.

Le président Trump répète chaque jour qu’il va chasser des millions d’immigrés clandestins, même les enfants, même présents depuis dix ans dans le pays, même travaillant très dur, même parfaitement intégrés, sous les applaudissements de ses supporters, les critiques des ONG et la réticence des employeurs qui craignent de voir ainsi disparaître une main d’œuvre peu coûteuse et corvéable à merci. En France, le Premier ministre, la droite et l’extrême droite parlent de « submersion migratoire », pendant que la gauche se scandalise devant un vocabulaire qu’elle dénonce comme fascisant et proclame qu’on peut admettre plus d’étrangers sans que cela ne pose aucun problème.

De fait, les migrations s’accélèrent, partout dans le monde, avec l’accélération d’un nomadisme involontaire des campagnes vers les villes, puis des villes vers des pays plus accueillants.   Dans d’innombrables pays, du Nord comme du Sud (où résident encore l’essentiel des migrants) les étrangers sont mal vus, puis chassés, avant qu’on les supplie de revenir et qu’on les régularise en masse.

En France comme ailleurs, on se trompe largement sur la nature du problème : il n’est pas lié au nombre de gens qu’on accueille, mais aux efforts d’intégration qu’on leur demande et aux moyens qu’on consacre pour la leur rendre possible.

Raisonner en termes de nombre (en France, aujourd’hui, c’est autour de 450.000 migrants de plus par an, en tenant compte des étudiants de passage et des demandeurs d’asile politique) et les dénoncer comme une menace à l’identité nationale, c’est tenir pour acquis que ces étrangers ne seraient pas intégrables et que les recevoir, c’est se condamner à héberger des communautés étrangères inassimilables.

C’est bien d’ailleurs ce qui menace dans de nombreux pays bousculés par des vagues d’immigration en particulier en Belgique, en Grande-Bretagne, au Canada. Et surtout dans d’innombrables pays émergents (sauf quand ces immigrés parlent la même langue et/ou pratiquent la même religion que les habitants du pays qui les accueille, comme c’est le cas en Europe des migrants venant d’Europe de l’Est, au Liban, en Jordanie, en Egypte, en Colombie, et dans bien d’autres pays).

Dans la plupart des autres pays, toute la classe politique semble tenir pour acquis que les migrants resteront ce qu’ils sont, des étrangers irréductiblement incapables de partager les valeurs du pays d’accueil, dont ils ne feront aucun effort pour partager les valeurs et qu’il faut donc en limiter le nombre pour ne pas déséquilibrer l’identité nationale.

Cette thèse, inexacte en théorie, est rendue vraisemblable par l’absence d’une politique d’intégration.

Quand un pays, comme la France, consacre scandaleusement peu de ressources à former les étrangers à l’apprentissage du français comme une langue étrangère (le FLE), en laissant la charge à d’admirables associations sans moyens ; quand ce même pays interdit aux étrangers en situation irrégulière de travailler légalement, les poussant ainsi vers des activités clandestines, à l’intérieur de leurs communautés d’origines, qu’elles viennent du Maghreb, d’Afrique Subsaharienne ou de Chine ; quand un autre pays, comme la Belgique ou la Grande-Bretagne, ne fait aucun effort pour imposer aux migrants le respect des valeurs nationales, la pratique de la ou des langues nationales, l’apprentissage de la culture et des valeurs nationales ; quand, dans ces pays, le regroupement familial permet de faire venir en toute légalité des époux ou des épouses ne parlant pas la langue du pays d’accueil ; quand on les laisse affirmer haut et fort que les lois de leur pays d’origine, ou celle de leur religion, prime sur celles du pays d’accueil, on ne peut avoir que des ghettos, des communautés fermées, devenant pour certaines prosélytes et menaçant l’identité nationale.

Le problème de l’immigration n’est donc pas un problème de nombre, mais de moyens consacrés, et de contraintes posées, à l’intégration.

En France, qui a tant bénéficié de l’apport des migrants depuis 70 ans, on doit fournir aux nouveaux venus tous les moyens pour apprendre la langue et la culture nationale ; on doit autoriser ceux qui font ces efforts à travailler légalement dans le pays d’accueil quelques mois après leur arrivée sur le sol national. On doit affirmer que nul ne peut vivre en France s’il ne considère pas la loi de la République comme supérieure, dans les domaines qui la concernent, à celles de toute religion, ou à celles de son pays d’origine, et s’il ne fait pas ce qu’il faut pour que ses enfants apprennent les valeurs de la République, dans les écoles de la République. On doit exiger en particulier le respect, par les étrangers comme les Français, de quelques principes sacrés : la laïcité, l’égalité des sexes, l’unité nationale, la pratique du français, la primauté de la loi de la République (et de l’Union européenne) sur toute autre loi ou principe ou pratique. On doit tout faire pour éviter l’enfermement communautaire et les mariages consanguins.

Ceux qui n’accepteraient pas ces règles, qui refuseraient de bénéficier des moyens de l’intégration (à condition qu’ils existent) et qui voudraient transformer le pays d’accueil en un lieu de conquête pour leur langue, leur religion, leur mode de vie, doivent être courtoisement reconduits à la frontière.

Ceux qui acceptent ce contrat, et le mettent en pratique sont plus que bienvenus. Ils sont même recherchés car la nation s’enrichira de leurs compétences, de leurs énergies, de leurs cuisines, de leurs musiques, de leurs arts, de leurs littératures, de leurs créativités, et de tout ce que leurs souffrances leur aura appris des exigences de la vie en société et des privilèges de la démocratie.

En contrepartie, la nation doit leur apporter tous les moyens de leur intégration. On en est loin.

 

Image : Les membres de l’équipe olympique des réfugiés lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques à Paris. © CIO/David Burnett