Le scandale du Médiator, au cœur d’un nœud de conflits d’intérêt, est exemplaire d’une inquiétante dérive de notre système de santé. Il a déjà eu deux effets positifs en conduisant à mieux surveiller une longue liste de médicaments aux effets secondaires incertains et à mieux contrôler les relations entre les experts qui autorisent la mise sur le marché de médicaments et les laboratoires qui les produisent.
Mais, ce qui est ahurissant, c’est que personne, absolument personne, ne se demande pourquoi on ne traite pas avec la même sévérité un produit totalement inutile, à la nocivité aujourd’hui avérée, consommé chaque jour par 1,3 milliards de personnes dans le monde et qui fait chaque année 5 millions de morts, soit plus que le sida et le paludisme réunis. La consommation de ce produit entraine d’immenses dépenses de santé et réduit partout la productivité des entreprises qui doivent laisser à leurs employés des pauses pour s’empoisonner en toute légalité. Et pourtant, on le laisse produire et vendre partout dans le monde. Et presque partout, faire de la publicité.
Ce produit, c’est le tabac. 5500 milliards de cigarettes sont fumées chaque année. Une personne en meurt toutes les six secondes. Il a tué 100 millions de personnes au 20ème siècle, soit le double de la deuxième guerre mondiale. A ce rythme, selon l’OMS, il en tuera 1 milliard au 21ème siècle.
Certes, des mesures sont prises pour en réduire l’usage, dans les lieux publics, et pour en réduire la visibilité médiatique. Mais elles ne servent à rien. Les jeunes fument de plus en plus : en France, 25% de la population fume ; et les ventes de cigarettes ont progressé de 2,6% en 2009 par rapport à 2008. De 2005 à 2010, la part des fumeurs quotidiens chez les 15-75 ans a progressé 26,9% à 28,7% ; la hausse est particulièrement forte chez les femmes de 45 à 64 ans, de 16 à 22,5%.
Mais on ne l’interdit pas. Pourquoi ? Parce qu’il rapporte beaucoup d’argent aux Etats. En France, il a rapporté en 2009, 10 milliards d’euros de taxe et 3 milliards de TVA. On prétend en réduire l’usage par la hausse des prix. Hypocrisie : la hausse des prix ne fait qu’augmenter les profits des compagnies et les revenus des Etats, coupables de complicité d’empoisonnement. Hypocrisie encore : on ose parler de principe de précaution alors qu’on ne l’applique pas dans ce cas indiscutable.
Mieux, ou pire, on parle d’une taxe mondiale sur le tabac : une taxe de 0,05$ sur chaque paquet dans les pays riches et de 0,01$ pour les pays pauvres rapporterait 7,7 Milliards de dollars qu’on pense utiliser pour soigner le Sida. Ironie : tuer d’une main pour soigner de l’autre.
Il ne faut plus tergiverser. Tout est clair désormais : il faut interdire la production, la distribution et la consommation de tabac. On remettrait en cause quelques emplois ; les Etats perdraient quelques recettes ; on encouragerait pour un temps le marché noir ; on devrait faire quelques dépenses pour désintoxiquer ceux qui le sont. Mais on gagnerait tant en qualité et en espérance de vie que le bilan, même économique, serait évidemment partout positif.
C’est aujourd’hui un combat d’évidence. Et pour ma part, j’attendrai avec intérêt la réponse des candidats à l’élection présidentielle à cette question simple : allez-vous interdire le tabac ?