Dans une interview ahurissante donnée cette semaine à l’hebdomadaire allemand Bild, le Président de la Banque Centrale Européenne, Mario Draghi, tout à son entreprise de charme à l’égard de l’Allemagne, a franchi les frontières de ce à quoi l’autorisent son statut et son rôle.

Après avoir approuvé bruyamment la couverture douteuse du journal, qui le représente avec un casque à pointe (que les journalistes lui ont offert et qui trône maintenant dans son bureau), il a expliqué que « Nicolas Sarkozy a eu raison de dire que l’Europe a beaucoup à apprendre de l’Allemagne », que le modèle allemand était « le meilleur possible, parce qu’ils ont inventé un modèle de croissance sans dette excessive » ; que la meilleure chose que pouvaient faire les Allemands, c’était « de ne pas changer de politique » (donc voter Merkel) ; que « le modèle social européen était mort, parce qu’il ne pouvait se financer que par la dette publique » ; que « l’essentiel de la crise européenne est derrière nous, si chaque pays faisait le nécessaire pour rétablir l’équilibre » ; pour terminer par dire son hostilité aux eurobonds.

D’abord, tout cela est historiquement faux, parce que l’Allemagne est aussi endettée que la France, et que ce sont des gouvernements conservateurs qui, en France comme en Italie, en Grèce ou ailleurs (aux Etats-Unis en particulier), ont fabriqué des dettes publiques insurmontables ; c’est aussi contraire à l’action de la BCE, qui a injecté en un mois mille milliards d’euros dans un système bancaire européen en faillite, pour lui permettre de rembourser ses dettes, installant un système de Ponzi à l’échelle du continent. La BCE n’a pas sauvé l’Union Européenne en décembre. Elle s’est juste sauvée elle-même par le maniement de la planche à billets. Cela ne lui donne pas le droit de tenter d’imposer à l’Union un modèle économique et politique.

De fait, ces déclarations sont en violation à son mandat : la Banque Centrale Européenne n’est pas là pour choisir le meilleur dirigeant allemand, ni pour dénoncer la social-démocratie et encore moins pour faire l’apologie du libéralisme. Elle est là pour protéger les épargnants européens des dérives d’une inflation excessive, dans le cadre de la politique économique de l’Union, décidée par les instances de l’Union, et dans le respect des choix politiques de chaque pays.

Si les dirigeants politiques européens acceptent cette dérive sans réagir, ils laisseront s’imposer sur le continent l’idéologie de la droite allemande, après avoir laissé imposer celle de la concurrence.

Cela serait désastreux. D’abord parce que, comme on l’a dit souvent ici, l’Allemagne ne va pas si bien que cela, en raison en particulier de sa démographie catastrophique. Ensuite, parce que l’idéologie de la concurrence empêche aujourd’hui, avec entêtement, la naissance de géants européens dans tous les secteurs où ils seraient essentiels. Enfin, parce que le retour de la croissance en Europe suppose une politique globale, financée par un budget fédéral et des eurobonds, pour développer les sources d’énergie de demain et mettre en place les réseaux de communication dont dépend son avenir.

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