Dans ce monde troublé, la phase finale de la 20ème Coupe du Monde de football pourrait faire oublier à certains les massacres (en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Ukraine), le chômage (en France et dans bien d’autres lieux ), la faim (qui tenaille plus d’un milliard d’hommes, de femmes et d’enfants à l’heure du sommeil), la crise du climat partout dans le monde, et la perte de sens de la vie pour presque tous les humains.
De fait, son déroulement plein de surprises (surtout pour ceux qui confondent la prévision de l’avenir avec la prolongation des tendances du passé) nous dit beaucoup sur l’état de notre monde, et donne des leçons sur ce qu’on peut en attendre et comment s’y mouvoir.
D’abord, sur le football proprement dit, elle nous rappelle qu’aucune équipe nationale n’est jamais en déclin irréversible (comme on le voit avec celle de la France) ; qu’aucune autre n’est non plus une puissance éternelle (comme le montrent l’Espagne et l’Angleterre) ; qu’une équipe rajeunie est toujours mieux placée qu’une autre, qui ferait trop confiance aux anciennes gloires (comme le montrent le Ghana et à l’inverse l’Espagne) ; qu’un encadrement de qualité, composé de pédagogues charismatiques, est essentiel au succès d’une équipe (comme le montrent les Allemands) ; que les supporteurs sont un moteur essentiel du succès d’une équipe, par l’énergie qu’ils apportent, comme le montrent les Argentins et les Brésiliens ; qu’une équipe capable d’attirer, et de retenir, des joueurs de haut niveau venus des milieux les plus dévalorisés, ou d’autres pays, est plus prometteuse qu’une autre comme le montre la France ; qu’aucun régime totalitaire n’a durablement une équipe de football de très haut niveau, comme le montre l’absence au Brésil de la plupart des dictatures de la planète, alors que celles qui se sont qualifiées, par les mystères diplomatiques de la FIFA, comme l’Iran, ne font pas bonne figure ; que des équipes éblouissantes surgissent de régions du monde négligées, avec d’autant plus de vitalité qu’elles sont devenues des démocraties et qu’elles disposent d’une société civile et d’une admiration de bon niveau (c’est ici le cas de l’Amérique Latine et d’un des seuls pays véritablement démocratiques d’Afrique sub-saharienne, le Ghana) ; enfin, que des nouvelles technologies, en particulier le cloud computing et le big data, sont en train de révolutionner ce sport, permettant, par une hyper surveillance des équipes adverses, de tout connaître de leurs comportements probables, joueur par joueur, pour en déduire des stratégies, comme l’expérimente en ce moment l’équipe allemande.
Si ces conclusions sont fondées, la France et les Etats-Unis devraient être, à terme, et pour longtemps, les plus grands pays du football.
Et si l’on veut extrapoler, les leçons sont claires : aucun pays n’est jamais en déclin irréversible. Il lui suffit pour se redresser de donner toute leur place aux jeunes, de ne pas hésiter à leur confier des responsabilités, de s’assurer d’une parfaite égalité des chances entre les divers groupes sociaux ; d’attirer les talents venus d’ailleurs ; d’utiliser les nouvelles technologies, sans craindre de bouleverser des habitudes ancestrales. Enfin de confier aux anciens les plus compétents et les plus charismatiques le soin de créer un lien social, une confiance, un enthousiasme, un désir de vaincre, un projet pour la nation.
Selon ces critères, la France est le pays le plus prometteur d’Europe, si elle sait oser le neuf, confier les manettes de l’action aux jeunes, bouleverser sa classe politique, et rester plus accueillante aux étrangers que ne le sont ses voisins.
A moins qu’un jour, conformément à la logique de la globalisation marchande, les nations perdent leurs sens et que ne s’affrontent plus, dans un sport réduit à un pur spectacle commercial, des équipes de marques, sans relation avec une ville ou un pays ; oubliant les valeurs du sport.
Face à ces promesses et ces menaces, il ne sert à rien d’être optimiste ou pessimiste : nous ne sommes pas des spectateurs du mouvement du monde, mais des joueurs. Seuls les spectateurs peuvent se contenter d’être optimistes ou pessimistes. Les joueurs, eux, ne sont jamais ni l’un ni l’autre. Ils jouent.