Quand j’entends un ancien président de la République française oser affirmer, et faire expliquer par ses lieutenants, que seule une très grave crise économique mondiale l’a empêché de réaliser toutes les réformes qu’il projetait, je ne peux m’empêcher d’être très en colère.
D’abord, parce que les rares réformes qu’il a conduites l’ont justement été parce qu’il a été contraint, par la crise, à agir, très insuffisamment, sur les retraites ; et à gérer, très efficacement, le sauvetage du système bancaire européen.
Ensuite parce que beaucoup d’autres pays, en Europe et ailleurs, ont eu le courage de se réformer dans une crise. Avec un succès visible quand ils l’ont fait lors de récessions précédentes, comme la Suède ou l’Allemagne ; avec un succès qui s’annonce, quand ils l’ont fait dans la crise actuelle, comme l’Espagne, le Portugal ou la Grande Bretagne.
Enfin, parce que l’expérience a montré que, quand il n’y a pas de crise, on réforme encore moins, puisqu’on a le sentiment que tout va bien : de ce point de vue, le cas du gouvernement Jospin en France est exemplaire.
Alors, si on ne réforme ni pendant que tout va bien, ni pendant la crise, on reforme quand ?!!
Le président actuel, l’ancien président, et la classe politique toute entière, doivent apprendre à reconnaître ce que tous les Français savent bien : ne pas agir quand on est confronté à une crise, c’est se condamner soi-même. Ils doivent apprendre les bases de la gestion des entreprises et des émotions personnelles, anticiper les crises et s’en servir comme moteur de la modernité.
En particulier, Nicolas Sarkozy, dont le retour en politique est bienvenu, doit avoir le courage de reconnaître qu’il a eu tort, pendant son quinquennat, de se servir de la crise financière mondiale comme prétexte pour justifier son inaction ; qu’il aurait dû au contraire s’appuyer sur cette immense secousse pour lutter contre les rentes, réduire les injustices, supprimer les départements, réformer l’école primaire, libéraliser les professions réglementées, faire des économies budgétaires, améliorer la compétitivité, libérer le travail le dimanche, réformer la formation permanente, remettre en cause le principe de précaution et les régimes spéciaux de retraite. Il doit aussi reconnaître qu’il a laissé à son successeur une situation très difficile, dans laquelle réformer était plus urgent encore ; il doit comprendre enfin que le successeur de son successeur, qu’il aspire à être, sera lui aussi confronté à cette même crise, et qu’il ne pourra en prendre prétexte pour ne pas agir.
Ou alors, s’il persiste à dire qu’on ne peut pas agir par temps difficiles, c’est qu’il reconnaît ne pas avoir été lui-même transformé par la crise personnelle qu’il a traversée et qu’il fera, de retour au pouvoir, les mêmes erreurs que lors de son premier mandat.
Les Français savent que la crise est l’alibi des faibles et l’énergie des forts. Ils ne feront plus confiance à quelqu’un qui n’aurait ni humilité, ni compassion, ni lucidité, ni courage, ni vision : l’humilité de reconnaître ses erreurs ; la lucidité de comprendre que le monde a changé, confronté à d’autres enjeux avec des nouvelles valeurs ; la compassion pour les plus faibles et les exclus ; le courage d’agir vite et fort ; et la vision d’avenir pour un grand pays, qui aurait tous les moyens de le rester si ceux qui le dirigeaient ne pensaient qu’à sa grandeur.