Une des plus grandes décisions dont doit débattre aujourd’hui l’Europe et qui engage son avenir plus que toutes les autres, est en train d’être prise sans discussion, honteusement, dans le non-dit le plus absolu: faut-il, comme l’a proposé le président de la Commission européenne, fixer des quotas par pays-membres pour recevoir les demandeurs d’asile venus de tous les lieux où hommes, femmes et enfants sont martyrisés par des pouvoirs politiques barbares ? Plus précisément, puisque la commission n’a pas utilisé le mot « quota », faut-il répartir ces demandeurs d’asile selon une clé de répartition mêlant PIB du pays, taux de chômage et nombre de demandeurs d’asile déjà accueillis ? Ou faut-il en laisser la charge aux pays où ils arrivent ?
Le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile aujourd’hui reçus en Europe est incertain ; et ils sont accueillis ou refoulés selon des interprétations très différentes des conventions internationales obligeant les démocraties à leur ouvrir leurs portes. On sait seulement que 15 pays membres de l’Union acceptent d’en accueillir, dont six (Allemagne, Royaume Uni, France, Suède, Italie, Belgique) en accueillent les quatre cinquième ; tandis que les 13 autres pays membres n’en accueillent aucun.
Devant le nouvel afflux de population, suite à la décomposition de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, et aux persécutions dont sont victimes journalistes, professeurs, dans bien des pays du monde, on ne peut laisser la responsabilité de la réception des demandeurs d’asile et des réfugiés politiques aux seuls pays par lesquels ils entrent dans l’Union, c’est-à-dire aujourd’hui à l’Italie et à la Grèce, pour l’essentiel. Il faut répartir autrement cette responsabilité, qui n’est pas une charge, et peut devenir une chance.
Pourtant, la proposition de Jean Claude Juncker a été enterrée aussi vite qu’elle a été avancée. Presque tous les membres de l’Union ont trouvé de bonnes raisons pour s’y opposer. Les Anglais d’abord, qui remettent même en question la libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union. Puis les autres.
Même le gouvernement français, qui avait d’abord souhaité une répartition « plus équitable » des réfugiés et s’était félicité de la proposition de la Commission, a fait marche arrière et s’y oppose désormais, se ralliant à la position de la droite et de l’extrême droite dans un douteux élan d’unanimité nationale. Sinon que, pour sauver la face, le gouvernement français concède qu’il faut décider de « contingents de répartition sur des populations ciblées à qui on a déjà accordé l’asile » ; comprenne qui pourra.
En réalité, les pays européens ne veulent pas entendre parler de quotas chiffrés, ni pour les demandeurs d’asile ni pour les autres émigrants. Plus largement, ils pensent que la politique de l’immigration doit rester dans le non-dit : on ne doit pas dire combien on en reçoit, ni combien on en refuse.
C’est une attitude absurde. On est capable de discuter de quotas chiffrés pour d’innombrables domaines. Pourquoi préfère-t-on là le silence, l’implicite ? Que fera-t-on quand les bateaux de migrants arriveront directement sur la côte d’Azur ? Comment gérera-t-on ceux qui tenteront ensuite, et tentent déjà, de passer légalement ou non, d’un pays-membres à un autre ?
En fait, il faut affronter ouvertement le problème. Et partir de deux faits incontournables : l’Union européenne a besoin d’immigration non européenne, pour maintenir une pyramide des âges équilibrée. Et elle ne peut fermer ses portes à ceux à qui les conventions internationales imposent d’accorder asile.
Il faut donc en parler ouvertement, en faire un grand débat continental. On arrivera assez vite à admettre que l’Europe a intérêt à :
1. Accueillir plusieurs millions d’émigrants non européens chaque année, et en particulier attirer tous les talents du monde, d’où qu’ils viennent, en les répartissant selon les besoins démographiques.
2. Accueillir en particulier les demandeurs d’asile et les réfugiés politiques et les répartir en proportion du nombre déjà reçus.
3. Mettre en place des moyens d’intégration proportionnés.
On est encore loin de cela, et même loin d’admettre la nécessité d’en débattre. Tant qu’on n’y parvient pas, on ne saurait dignement parler d’une « Union Européenne ». On ne saurait espérer qu’elle retrouve le chemin de la prospérité.