De tous les côtés de l’échiquier politique, dans d’innombrables pays, revient comme une antienne l’idée d’un revenu général universel, ou salaire de base. Il existe déjà, à l’état expérimental, au Canada, en Alaska, en Inde, en Namibie, aux Pays-Bas ; il sera attribué en Finlande à partir de 2017, à titre provisoire. Les Suisses eux-mêmes vont bientôt voter à ce propos.
L’idée est si protéiforme qu’on la retrouve aussi dans les discours des plus libéraux des économistes, comme des plus radicaux des altermondialistes. Pour les uns, l’allocation universelle permettrait de simplifier le maquis des aides et des impôts et de réduire massivement le rôle de l’État, y compris en privatisant l’éducation et la santé, que chacun pourrait alors financer à sa guise. Pour les autres, elle permettrait de garantir à tout humain les moyens de vivre, de réduire l’exode rural et de favoriser l’insertion par le travail, qui ne peut se faire que par la confiance retrouvée dans l’avenir et non dans l’extrême précarité ; ce serait donc un élément essentiel du respect de soi, condition de l’expression des talents de chacun.
D’autres la retrouvent par d’autres chemins : ainsi ceux qui en viennent à imaginer, pour lutter contre la récession, que les Banques Centrales pourraient, en plus de l’argent qu’elles offrent aux banques, accorder à chacun une somme, créditée sur un compte bancaire, argent gratuit qu’ils nomment « argent hélicoptère » en référence à l’idée de le jeter sur des foules en délire. Ainsi aussi ceux qui, ailleurs, s’indignent de la misère des plus pauvres des pays du Sud et pensent qu’un montant forfaitaire annuel leur permettrait de survivre.
On la chiffre, pour la France, autour de 800 à 1000 euros par mois. Certains proposent de la moduler selon l’âge et le statut social du bénéficiaire. Elle serait financée par l’impôt ou par création monétaire.
Les critiques ne manquent pas. S’il s’agit seulement de simplifier le maquis administratif, cela revient au vieux projet de l’impôt négatif, qui a toujours échoué. On perdrait l’impact spécifique de toutes les aides existantes, qui n’ont pas été inventées pour rien: on finirait alors par les recréer et l’allocation universelle deviendrait juste une de plus. Si c’est pour améliorer le revenu des plus précaires, on peut craindre un effet dévastateur sur l’offre de travail, puisqu’il serait possible de faire mieux que survivre sans rien produire ; et les effets de seuil rendraient peu intéressant le retour sur le marché du travail. On peut craindre aussi que les employeurs n’en profitent pour diminuer les salaires d’un montant équivalent à l’allocation. Enfin, dans le cas particulier de la France, une telle allocation n’aurait presque aucun impact sur la croissance et l’emploi, puisque les dépenses qu’elle rendrait possibles nourriraient surtout les importations.
En réalité, pour moi, elle trouve surtout sa raison d’être dans l’extraordinaire aggravation de la concentration des richesses et dans l’absence d’une capacité mondiale de créer de la demande, conduisant à une très dangereuse spirale déflationniste. On peut donc imaginer, à l’échelle du monde, au moins de l’Europe, une allocation réservée aux plus faibles, qui viendrait en complément de leurs revenus divers et serait versée sous forme de coupons, utilisables pour acheter des services et des produits alimentaires issus de l’agriculture de voisinage. Chaque coupon aurait une validité de 3 mois et qui le recevrait en paiement pourrait le transformer en monnaie auprès de l’administration du Trésor. L’impact sur la croissance et l’emploi serait sûrement très significatif. Cela vaut la peine d’essayer, au moins pour trois mois…