Pendant que le monde vit des drames de plus en plus intenses, le Festival de Cannes, premier rendez-vous mondial du cinéma, bat son plein. A regarder les images que nous en renvoient les médias, de montées des marches en interviews, on pourrait penser que le cinéma ne reflète en rien la vérité du monde, qu’il n’est que le lieu des fantasmes et des intérêts d’une industrie de la distraction, détachée du réel. On pourrait d’autant plus le penser que le cinéma ne constitue même plus l’essentiel des images dont s’abreuvent aujourd’hui les gens, sur toute la planète : les fictions sont de moins en moins vues dans des salles obscures, et, même, de moins en moins sur des écrans de télévision ; elles sont de moins en moins des films, au sens ancien du mot, mais de plus en plus des séries permettant à leurs auteurs de développer, pendant de longues heures, des personnages, des situations et des univers que chaque spectateur peut voir à son rythme, quand il le veut, sur son téléphone, son ordinateur ou tout autre objet nomade.
Aussi le monde de l’image n’a-t-il, en apparence, plus rien à voir avec ce qui se joue à Cannes.
Et pourtant, ces séries elles-mêmes se nourrissent du cinéma, de ses techniques et de ses imaginaires. Cannes reste le rendez-vous principal de la créativité et l’avant-garde du récit de fiction. C’est par le cinéma que s’expérimente encore, avec le plus de moyens, la narration des enjeux du monde. C’est par le cinéma que le monde se parle à lui-même de ses soucis et de ses ambitions, de ses amours et de ses peurs. C’est lui qui, mieux qu’aucun autre art, réussit à sensibiliser des foules entières aux grands défis du temps. Il l’a fait formidablement dans le passé, avec, par exemple, Le Dictateur, de Charlie Chaplin, Dodes’ka-den, d’Akira Kurosawa, Miracle à Milan, de Vittorio De Sica, ou Voyage au bout de l’enfer, de Michael Cimino. Et tant d’autres. Avec un énorme impact sur le comportement des peuples.
Et aujourd’hui, qu’en est-il des grands succès du cinéma ? Certains sont de purs objets de distraction. D’autres sont des récits de violence pure. Les uns et les autres nous disent la fascination éternelle des hommes pour le mal. Les uns et les autres traitent clairement de deux dimensions du monde, celle du rire et celle des pleurs. Il faudra s’inquiéter si un jour un film faisant l’apologie du racisme ou de l’exclusion devient un succès planétaire. Ce n’est pas encore le cas.
Et s’il est une raison, encore, d’être optimiste sur l’avenir du monde, c’est bien celle-ci : les grands succès cinématographiques d’aujourd’hui abordent tous des sujets positifs et nous alertent sur les enjeux les plus importants, de l’environnement au handicap, éveillant les consciences, suscitant des pensées empathiques. Ces films, bien sûr, ne le font avec succès que s’ils sont d’abord des œuvres d’art, c’est-à-dire des messages personnels de leurs auteurs, qui parlent avec leur cœur et leur âme au cœur et à l’âme de chacun de nous.
Il faut espérer que, dans l’avenir plus encore qu’aujourd’hui, le cinéma, qui utilisera, plus tôt qu’on ne le croit, les technologies de la réalité augmentée et de l’intelligence artificielle pour aller au plus près des désirs de chacun, deviendra le véhicule privilégié des lanceurs d’alerte, ceux qui osent dénoncer tous les poisons du monde, pour que l’humanité ne puisse pas dire qu’elle ne savait pas, et n’agisse pas.