Dans un moment essentiel de la vie nationale, les dirigeants politiques français offrent un spectacle consternant. Alors qu’ils ont manifesté professionnalisme et sens de l’intérêt national après les attentats de 2015, ils semblent aujourd’hui, tous, avoir oublié qu’ils doivent incarner, en ces heures graves, les valeurs essentielles de notre pays.
Les chefs de la majorité se sont ridiculisés en se contredisant les uns les autres (l’attentat est-il ou non le fait d’un islamiste radical ?), en changeant d’avis sur un sujet majeur (pourquoi prolonger l’état d’urgence quand on vient de décider de le lever et qu’il n’a pas empêché le drame de Nice?) et en étant incapables de trouver les mots susceptibles de recréer une union nationale. Ceux de l’opposition se sont plus encore discrédités en lançant une polémique obscène sur la soi-disant responsabilité du gouvernement dans cet acte imprévisible et en proposant des mesures répressives irréfléchies. Pensent-ils, comme on l’a entendu, qu’il soit possible et utile d’expulser un étranger après toute condamnation de quelque nature que ce soit ? De fermer les frontières nationales ? D’enfermer les suspects fichés S dans des centres de rétention, sans limite de durée? D’armer les policiers avec des bazookas? De déclarer l’état de siège?
A supposer qu’elles soient praticables, ces mesures n’auraient empêché aucun des attentats et auraient transformé le pays en une gigantesque machine totalitaire, avec des dizaines de milliers de policiers aux frontières, des centres de rétention contenant plus de dix mille personnes et des milliers de familles rompues par l’expulsion d’un père condamné pour des actes sans lien avec le terrorisme. Si on fait cela, on mettra à mal, sans aucun succès policier, ce qui fait l’essentiel de notre nation et que les terroristes veulent détruire : la démocratie.
Nous devons d’abord prendre conscience que nous formons une grande famille, où il est de l’intérêt de chacun de ses membres de défendre et d’assister tous les autres. C’est de fraternité dont nous avons besoin, si nous voulons vaincre le terrorisme sans perdre notre âme. Certes, il faut plus d’argent pour la police et l’armée, et pour que nos prisons ne soient plus des usines à délinquants ou à terroristes. Il faut aussi, plus encore, investir dans les nouvelles technologies de surveillance. Mais on a surtout besoin d’une mobilisation générale démocratique, dans les diverses formes de réserve, de garde nationale ou de sécurité civile, comme l’a justement proposé le ministre de l’Intérieur, au nom d’une bataille pour la démocratie.
Il est nécessaire aussi de dépenser plus d’argent dans les écoles maternelles et primaires et dans les collèges, pour qu’aucun enfant ne soit condamné à perdre sa vie par le hasard de son milieu familial. On a enfin besoin de développer tous les réseaux de la fraternité, en particulier d’aider la bourgeoisie musulmane naissante à prendre en main les marginaux de sa communauté, comme l’ont fait les autres cultes.
La répression est nécessaire. Si l’on s’en contente, on confiera naturellement le pouvoir à ceux qui proposeront le pire. Et la guerre civile, tant souhaitée par les ennemis de la République, sera alors certaine. Il est temps que la classe politique se réveille ou dégage. Qu’elle comprenne que la lutte contre le terrorisme n’est pas de la seule responsabilité de l’Etat et qu’il n’y a pas une France de gauche et une France de droite. Que cesse ce spectacle pathétique, que l’on parle enfin de ce qui fait la grandeur d’une nation: le vivre ensemble, l’altruisme. Et qu’on organise la seule mobilisation générale qui vaille, contre l’égoïsme et le chacun pour soi.