Pour être encore, à l’heure où j’écris, involontairement retenu trois jours de plus que prévu à Washington, comme des centaines de milliers des Français, des millions d’Européens bloqués hors de chez eux, ou d’autres, coincés en Europe loin de leur domicile par les conséquences, peut être surestimées, de « l’irruption » d’un volcan islandais, j’ai pu mesurer l’importance de ces moments étonnants où le contrôle du temps nous échappe. Avec chacun une histoire interrompue : du travail, des affaires, des rencontres amicales ou amoureuses, des vacances, des migrations plus durables.
Parfois, un tel contretemps, qu’il soit lié à un volcan, ou a une grève des trains, (ou à un événement bien plus sérieux, qui mobilise inopinément toute notre attention) , représente un inconvénient réel et considérable, un réel dommage : l’absence à des événements uniques, qui ne peuvent être décalés, comme la présentation d’un projet devant un client pressé ; un exposé manqué de travaux originaux dans un séminaire scientifique majeur ; la participation à une foire commerciale ou à un salon professionnel. Parfois, cela crée des besoins nouveaux, comme la nécessité de trouver d’autres moyens d’occuper des enfants pendant les vacances gâchées. Alors, on voit se déployer des trésors d’énergie, pour arriver sur les lieux, par tous les moyens, même les plus rocambolesques.
Très souvent, une fois la première déception passée, le rendez vous manqué apparait comme sans importance : tout, ou presque, peut attendre.
Plus généralement, pour chacun, c’est l’occasion de se demander si, ce qui devait être fait et qui ne peut plus l’être, était vraiment important ; ou si même, cela ne pouvait être fait autrement, à distance.
La réponse est très souvent cruelle : bien des choses qu’on pensait urgentes, se révèlent, lorsque l’adversité s’en mêle, sans importance. Bien des réunions qu’on croyait nécessaires sont en fait du temps perdu. Plus même, combien de gens ont du être heureux de pouvoir ne pas prendre un train, ou un avion, pour une réunion absurde, dont ils n’avaient pu ou su se dédire ?
Il est urgent de se rappeler d’une évidence, connu de tous les philosophes, depuis l’antiquité, et que nous aimons tant oublier : notre vie ne nous appartient pas ; elle est la propriété de tous ceux, innombrables, qui décident de notre emploi du temps, parce qu’ils ont un pouvoir affectif, ou économique, ou social, ou politique, sur nous.
En nous obligeant pour un instant à ne pas leur obéir, le nuage volcanique aura rendu un grand service à beaucoup d’esclaves du temps. Il leur aura permis de prendre conscience de l’importance de la rébellion contre ces maitres.
Cela devrait au moins conduire chacun d’entre nous à être beaucoup plus exigeant dans la gestion de notre temps ; à se garder, autant qu’il est possible, de vastes plages libres, rien qu’à soi. Celles qui, justement se libèrent quand un voyage est annulé.
Cela devrait aussi conduire nos nations à comprendre que, à notre époque, comme à toutes celles qui la précèdent, l’homme n’est maitre de rien s’il n’est pas d’abord maitre de lui-même.