Cette campagne est sans doute la première, depuis les débuts de la cinquième république, qui se termine sans qu’y soient évoquées sérieusement les questions culturelles ; sans que des comités de soutien rassemblent des artistes, des écrivains, des musiciens prestigieux, appelant à voter pour l’un ou pour l’autre des candidats ; sans que chaque prétendant au poste suprême n’ait fait connaitre, d’une façon ou d’une autre, l’importance qu’il attache à cet enjeu.
Aucun combat frontal ne les a opposés sur aucun de ces sujets : il est fini le temps où on s’écharpait sur l’architecture d’un musée ou sur le contenu d’une bibliothèque ; où on s’envoyait à la tête des chansons composées à la gloire des divers candidats ; où on s’insultait à propos de la place de l’art contemporain dans les commandes publiques ou sur l’accès à la musique et au cinéma sur internet.
Certes, les candidats se sont tous, ou presque, livrés à l’exercice imposé consistant à énoncer un programme culturel. Et presque tous, à des degrés divers, y ont parlé de l’enseignement artistique, du statut des intermittents du spectacle et des horaires d’ouverture des bibliothèques. Certains ont meme évoqué, sans enthousiasme particulier, la francophonie.
Mais aucun d’eux n’en a fait un point nodal de son programme. Aucun ne s’est ouvertement battu sur une réforme majeure en ce domaine, comme s’il était définitivement devenu accessoire. Comme si la culture avait définitivement était remplacée par la distraction.
Les artistes de toute discipline ne s’y sont pas trompés, qui ne se sont engagés, ni pour les uns ni pour les autres. Et les candidats n’ont pas cherché à obtenir leurs suffrages, conscients que l’opinion ne considère plus les artistes comme des prescripteurs légitimes, mais qu’elle les range parmi les privilégiés illégitimes, dont il faut se débarrasser, ou moins se méfier, d’une façon ou d’une autre.
Et pourtant, que de sujets essentiels auraient dû renvoyer à la culture !
Par exemple : comment faire en sorte que tous les habitants de ce pays parlent tous la meme langue et la parlent bien ? Ce qui suppose, par exemple, de donner beaucoup plus de moyens à l’enseignement du français langue étrangère, en France.
Ou encore : comment faire que notre culture continue de se nourrir des cultures venues d’ailleurs, sans pour autant devenir une juxtaposition de cultures distinctes, voire hostiles ? Ce qui suppose de la tolérance, de la curiosité, un gout des autres, en meme temps qu’une idée claire de ce qu’est la France, et de ce qu’elle doit continuer d’apporter au monde.
Ou enfin : comment faire que chaque habitant de ce pays, où qu’il soit, d’où qu’il vienne, obtienne et conserve toute sa vie le gout et les moyens d’apprendre, d’être curieux, créatif, original ? Ce qui suppose un apprentissage du devenir-soi, une passion de l’essai, de l’effort, du risque, du partage ; une capacité à assumer l’échec ; et meme le ridicule.
De tout cela, qui fait une grande nation, nous n’en avons pas parlé. Pas encore en tout cas. Et c’est bien mauvais signe.
Les nations se nourrissent des grandes polémiques culturelles qui y surgissent. Elles meurent quand ces polémiques n’existent plus, quand chacun s’y résigne à n’être plus qu’un consommateur de distraction, solitaires et juxtaposées. Cela nous guette. Cela guette toutes les nations développées, alourdies par le poids de leur héritage.
C’est en retrouvant notre créativité collective que l’on rouvrira le chemin de la prospérité et du bonheur de chacun.