Les mots que nous employons tous les jours veulent dire plus que le sens qu’ils ont pris aujourd’hui ; et ils continuent de charrier leurs sens antérieurs. Aussi est-il essentiel de s’intéresser à la généalogie des mots, qui va bien au-delà de leur simple étymologie.
Le mot « environnement » par exemple mérite d’être analysé dans ce contexte. Il est né il y a très longtemps, au moins au 13ème siècle, en anglais et en français, dans le sens de « circuit », de « contour ». Puis, un siècle plus tard, il désigne « ce qui entoure ». Il faut attendre la deuxième moitié du 20ème siècle pour qu’il commence à désigner « ce qui entoure l’homme ». Et plus récemment encore pour qu’il rassemble les enjeux de la nature.
Depuis lors, il est devenu un des rares mots dont la connotation est toujours, dans toutes les langues, positive : On est pour l’environnement. Sa défense est nécessaire, personne ne le discute. On le retrouve utilisé dans ce sens par tous les gouvernements et il est introduit dans tous les textes internationaux avec un sens vague, allant de « ce qui nous entoure » aux « enjeux de la nature ».
Et pourtant, ce mot introduit insidieusement une notion dangereusement fausse : Ce qui nous « environne » désigne ce qui nous entoure ; il n’est donc défini et n’a d’existence que par rapport à nous. L’environnement ne désigne donc pas la nature, qui mériterait d’être protégée pour elle-même, mais juste ce qui est nécessaire à l’espèce humaine, ou même seulement à nous, vivants d’aujourd’hui.
Ce n’est pas juste une querelle de mots ; car cela renvoie à l’essentiel : nous continuons, consciemment ou non, en parlant d’environnement, à ne nous référer à la défense de la nature qu’en tant qu’elle est l’écrin de notre vie. Nous n’avons pas, en réalité, quand nous parlons de lui, d’autres préoccupations que nous-mêmes.
Autrement dit, ce qui ne nous « environne » pas, ce qui ne nous sert pas ou ne nous nuit pas directement, ne fait pas partie de l’environnement, et n’a donc pas, en réalité, vocation à être protégé.
En parlant d’environnement, nous définissons donc la nature par son rapport à l’homme et pas en elle-même, dans une conception anthropocentrique.
Or, l’homme n’est pas, depuis bien longtemps, au centre de l’univers. Ce saut fut très difficile à faire quand il s’est agi de s’éloigner de l’anthropocentrisme, puis du géocentrisme, puis de l’héliocentrisme. Toutes conquêtes qui passèrent par la mort d’hommes de grand courage, tels celui que je ne cesse d’admirer et à qui je me réfère si souvent : Giordano Bruno.
La meilleure preuve est que les textes de loi et les traités internationaux ne parlent que de la défense de ce qui menace la vie et les droits des hommes. Certains documents, très rares et sans force exécutoire, parlent de la défense de l’espèce humaine. Aucun ne parle sérieusement de la défense de la vie ; et moins encore de la défense de tout, y compris ce qui n’est pas vivant.
Alors, il faut affronter la question : la vie, la planète, l’univers, doivent-ils être défendus même si ce n’est pas dans l’intérêt de l’espèce humaine ? Et plus encore, doivent ils l’être même si c’est au détriment de l’espèce humaine ?
A mon sens, la réponse à ces questions est positive. Et il faut renoncer à parler d’environnement pour parler de la vie, dont nous ne sommes, humblement, qu’une espèce de passage.
Accessoirement, ce serait notre meilleure protection : notre vie n’existe que grâce à toutes les autres vies, passées, présentes et futures ; et si nous ne nous intéressons qu’à la nôtre, nous négligerons et nous détruirons toutes celles qui l’ont rendue possible, qui la rendent encore possible, ou qui la rendront un jour possible ; même si c’est selon des détours que nous ne comprenons pas encore.
Si nous voulons ne pas être la victime de la sixième extinction de masse qui menace, il nous faut donc, (sans renoncer à bâtir, à construire, à créer, à découvrir, à réparer le monde), nous intéresser à la nature de façon réellement altruiste, sans référence direct à notre intérêt. Ce serait, accessoirement, la meilleure façon de le défendre.