Je ne connais pas beaucoup de plus grands plaisirs que de découvrir un nouvel auteur, une nouvelle pensée, un nouveau texte. Et plus encore, de faire partager ses découvertes à d’autres. Prêter, offrir, conseiller un livre, en parler après ; en lire ensemble des passages à haute voix. Quelle joie…
Et aujourd’hui, plus que jamais, lire, faire lire sont des enjeux majeur, dans nos civilisations de l’impatience et de l’image. De l’image impatiente.
Depuis près de 3000 ans, la pensée fait avancer le monde et se transmet par les livres. Quelles que soient leurs formes matérielles, ce sont ces premiers objets-nomades, si particuliers, qui véhiculent les idées, qui gardent trace des histoires que les hommes et les femmes se racontent à la veillée. Ce sont les livres qui forment le cadre de la réflexion, de la pensée active, créative, critique.
Pas de réflexion, d’innovation, de progrès sans livre. Pas de livre sans écriture. Et sans enseignement de la lecture et de l’écriture.
Dans les plus avancées des civilisations anciennes, l’obligation de savoir lire et écrire était inscrite au cœur du devoir familial et du devoir d’Etat. C’est en particulier cette obligation qui a structuré, depuis 2500 ans, l’identité juive et qui a permis la survie de ce peuple, malgré sa dispersion bimillénaire ; c’est d’elle que découle le rayonnement du monothéisme. C’est aussi cette obligation qui a structuré, depuis la même époque, la société impériale chinoise et y a fait régner une méritocratie d’où sont sortis d’immenses penseurs et plusieurs religions.
Aujourd’hui, savoir lire reste la clé du pouvoir. Donner à lire reste la clé de l’influence. La lecture est une arme donnée par les adultes aux nouvelles générations, sans craindre qu’elles s’émancipent de leurs ainés. Elle est un moyen donné par le pouvoir pour le combattre. Il ne faut pas le craindre : seules les civilisations ayant eu ce courage, cette confiance dans leurs jeunesses, survivent aujourd’hui.
Qu’on ne croit pas que ce soit aujourd’hui un acquis du progrès : plus de 800 millions d’adultes dans le monde ne savent pas lire ; les deux tiers sont des femmes et les trois quarts vivent dans 15 pays dont le Bangladesh, le Brésil, la Chine, l’Inde et le Nigéria. En France, 7% des adultes seraient analphabètes. Et beaucoup de gens, qui ont appris à lire, ne lisent pas, et oublient, faute de pratique.
Lire est un travail, bien plus exigeant que de regarder des vidéos. Au temps des réseaux sociaux, où lire devrait rester une condition d’appartenance au groupe, celle-ci ne s’exprime, de plus en plus, que par des photos ou des symboles sommaires, et non par des textes.
A l’échelle de la planète : il est urgent de faire en sorte que l’école apprenne à lire aux enfants et à tous les adultes. Que la lecture ne se limite pas aux textes plaisants aux pouvoirs, religieux ou laïcs. C’est la mère des batailles.
En France, la lecture est aussi un enjeu trop négligé ; elle devrait etre une grille d’analyse de bien des réformes. Par exemple, l’écriture inclusive est une aberration, de ce point de vue comme de bien d’autres, parce que rendant encore plus difficile la pratique de la lecture. De même, les réformes des programmes scolaires doivent avoir comme priorité de faire découvrir le plaisir de lire des textes d’histoire, de sciences, ou de littérature. Enfin, les familles ont là-dessus un rôle essentiel, en conseillant des livres à lire, en lisant ensemble, à haute voix ou en silence.
On découvre alors que les livres sont en fait le plus merveilleux des sujets de conversation.