PMon éditorial du Journal des Arts
armi les milliers de gens contraints de quitter leurs pays en guerre, ou parce qu’ils y sont pourchassés par la dictature, peu, très peu, de moins en moins même, arrivent en Europe. Parmi ceux qui y parviennent, très peu sont accueillis dignement et se voient proposer une voie d’intégration. Et, si on la leur propose, c’est en général pour les confiner dans les métiers pénibles que les Européens ne veulent plus exercer. Rares sont ceux (ils existent) qui peuvent reprendre des études de médecine ou d’ingénieur.
Pire encore : personne ne se demande si, parmi ces gens, ne se trouvent pas des artistes, qui mériteraient d’être encouragés, aidés, valorisés. Soit parce qu’ils étaient des artistes dans leur pays d’origine ; soit parce que, placés dans des circonstances rassurantes, ils pourraient s’épanouir comme artistes.
Il n’en allait pas de même dans le passé. La France, en particulier, a une longue histoire d’accueil d’artistes venus de pays en guerre ou en situation difficile ; et qui ont trouvé chez nous un accueil qui leur a permis de s’épanouir. Et de gens qui venus avant de commencer une carrière artistique, ont participé à la construction de la culture française.
Sans remonter à Leonard de Vinci, (artiste reconnu dans son pays, qui traversa les Alpes par les mêmes chemins qu’empruntent aujourd’hui certains clandestins) on peut citer parmi ces émigrants Juan Gris, Pablo Picasso, Amadeo Modigliani, Marc Chagall, Constantin Brancusi, Nicolas de Staël, mais aussi en littérature Irène Nemirovski, Marina Tsvetaieva. Et aussi au cinéma, et en musique. Ils furent en général reçus à bras ouverts, bien accueillis et protégés. Ou au moins trouvèrent de nombreux points d’appui.
Et aujourd’hui ? C’est beaucoup plus rare. Les jeunes artistes venus d’ailleurs sans papier, sans statut ni réseau, sont très peu aidés et soutenus. Plus généralement, cela est vrai pour l’Europe toute entière, plus fermée que jamais et qui coupe ainsi les branches les plus fécondes de l’arbre de son avenir.
Certes, parmi ces migrants mal reçus, certains réussissent à se faire une place, grâce à des galeristes éclairés ou des amateurs attentifs. Et il existe quelques magnifiques initiatives pour les soutenir, tel « l’atelier des artistes en exil ».
Et on connaît aujourd’hui, en France, bien de jeunes cuisiniers, musiciens, peintres, sculpteurs, écrivains, chanteurs, danseurs, cinéastes, photographes, venus de ces exodes, et qui sont déjà de grandes promesses pour l’avenir de leur art.
Sommes-nous certains aujourd’hui que, parmi tous ceux que nous expulsons, que nous abandonnons au bord de nos routes, qui mendient dans nos rues, qui survivent dans des tentes de misères dans nos villes, sans papier, ou que nous confinons à des métiers de force, ne se trouvent pas d’autres grands talents, dans un domaine artistique ou un autre ?
Non qu’il ne faille sauver que les artistes : tout être humain a un égal droit à la compassion et à l’assistance. Mais, pour ne reprendre que le point de vue cynique et égoïste de ceux qui, en France, se réfugient derrière la défense de l’identité française pour refuser tout apport extérieur, ne peut-on reconnaître que ces migrants-là ont apporté immensément à la culture et à l’identité de la nation qui les ont reçues ? Et que l’identité française ne serait pas ce qu’elle est sans l’apport de ces artistes migrants.
Regardons donc autrement ceux que nous ne voulons pas voir, et accueillons, avec émerveillement, ce qu’ils ont à apporter à notre grandeur commune.
J@attali.com