Il m’est arrivé à de nombreuses reprises de me prononcer contre la loi Création et Internet. De prôner un retour à la sérénité et à l’apaisement pour dessiner ensemble une meilleure réponse face au piratage, autour notamment de dix points qui ont été préalablement développés. Pourtant, Hadopi n’en finit pas de déchainer les passions. Dernier exemple en date, la lettre ouverte envoyée par Juliette Gréco, Maxime Le Forestier, Michel Piccoli, Pierre Arditi et Bernard Murat à Martine Aubry pour dénoncer le combat anti-Hadopi du Parti socialiste, dont, par ailleurs, je ne suis pas adhérent. Une missive qui montre, encore une fois, l’incompréhension d’un certain nombre d’artistes face à ce texte.
Hadopi, le «refus d’un ordre purement marchand» ?
Vous vous désolez de la position anti-Hadopi du Parti socialiste qui, selon vous, est devenu «l’avocat du capitalisme débridé contre les droits des artistes à l’heure du numérique». Par ce biais, vous vous figurez qu’Hadopi œuvre en votre faveur, qu’il représente «le refus d’un ordre purement marchand», selon vos propres termes. Que nenni. Hadopi est la consécration même de cet ordre culturel purement marchand que vous vouez aux gémonies.
Les majors qui, loin des idées reçues, continuent, pour la plupart, de voir leur chiffre d’affaire croître, se voient consolidées dans leur position dominante. C’est la victoire de l’industrie culturelle sur la création artistique, qui, dans l’histoire, ne recevra pas un euro.
La loi n’agit pas non plus pour une rationalisation ou une réglementation d’internet. Les fournisseurs d’accès qui, comme vous le soulignez justement, sont ceux qui profitent de ce «pillage de la création», ne se voient imposer aucune règle, comme se fut naguère le cas pour les opérateurs de radio et de télévision. Par ailleurs, ils ne cessent de développer leurs offres de connexions ultrarapides à internet, comme la fibre optique, valorisant la rapidité du téléchargement. Un moyen de nous faire comprendre qu’Hadopi ne les concerne pas.
Combattre Hadopi ce n’est pas renier le droit d’auteur. Tout au contraire. Comme vous le soulignez, «le droit d’auteur est un droit de l’homme». Le droit pour chacun de décider librement de la diffusion et de l’exploitation de son œuvre. Or, Hadopi dénature ce droit en en faisant un outil de l’Etat. Désormais, c’est la Haute Autorité pour la Diffusion des Oeuvres et la Protection des droits sur Internet qui, comme son nom l’indique, s’érigera, en lieu et place des artistes et ayants droit, en décideur de la diffusion et de l’exploitation d’une œuvre. Pis, en l’état actuel du texte, un sous-amendement prévoit que le droit d’auteur des journalistes sur leurs articles, qui s’applique, jusque-là, à toute diffusion, sera limité à la première publication. Pour les opposants à la loi il n’est pas question de limiter ou de fragiliser le droit d’auteur, qui continu d’être protégé par le Code de la propriété intellectuelle, mais de mieux l’adapter aux réalités du numérique afin que les auteurs soient légitimement rétribués mais aussi qu’internet puisse continuer à jouer son rôle de découvreur de talents.
Tous ces artistes restés dans l’ombre – ces musiciens, acteurs, réalisateurs – pour lesquels internet est souvent le seul moyen d’être connus ou reconnus. Eux, crient d’une seule voix «mieux vaut être piratés qu’ignorés». A-t-on le droit de les priver de cette main tendue que représente internet ? N’est-ce pas à vous, à nous, de nous battre pour que ce foisonnement d’artistes encore méconnus puisse éclore aux yeux du public ?
Une loi injuste et dangereuse
Dangereuse, tout d’abord, car attentatoire à la liberté, qui irrigue pourtant la création artistique. Hadopi c’est l’édification d’un filtrage de la toile par la Haute autorité, créée à cette fin. La mise en place progressive d’un contrôle des échanges en ligne et, à fortiori, la criminalisation d’internet. Casser la liberté de parole, étouffer l’innovation, voilà quels seront ses effets. Déjà, pour les accès wi-fi publics, la loi prévoit un filtrage limité à une «liste blanche» de sites autorisés. Un cloisonnement de la libre pensée, de la libre information, de la libre navigation, en somme.
Dangereuse, car une autorité administrative se substitue aux juges pour sanctionner les «abus d’internet». Quid de la présomption d’innocence ? Du régime de la preuve ? Pas de procès pour se défendre, étayer ses arguments. La coupure est nette et sans appel. Pourtant, le dispositif a encore bien des lacunes. Quel sort réservé à ceux dont on a piraté la connexion wi-fi ? Aux parents, dont le jeune enfant a, à leur insu, téléchargé son film de héros préféré ? La loi est claire : ils seront sanctionnés pour «défaut de sécurisation de leur connexion contre une utilisation à des fins de reproduction sans autorisation». Une conception toute personnelle de la justice.
Déjà l’injustice se profile. Mais elle joue surtout sur un plan social. Qui seront les plus touchés par Hadopi ? Les jeunes. Eux qui, déjà frappés de plein fouet par le chômage, verront leur accès internet, parfois leur principal outil de travail, quand ils en ont, coupé. Or, selon une étude récente, se sont ces mêmes jeunes, ceux qui téléchargent le plus, qui, ensuite, achètent le plus de cd ou dvd. Est-ce bien raisonnable de sanctionner et stigmatiser ceux qui font tourner l’industrie du disc et du cinéma ?
Votre inquiétude est compréhensible, votre sentiment d’abandon aussi, mais vous vous trompez de combat. Hadopi ne mettra pas fin au piratage, elle ne rétablira pas les artistes dans leur droit. Dans le meilleur des cas, elle demeura lettre morte, dans le pire, elle essaimera ses effets négatifs sans résoudre aucun problème.
Hadopi ne réglera rien
Hadopi ne sanctionne le téléchargement que sous la forme du peer-to-peer, et encore dans sa version la plus simplifiée. Plusieurs sites de téléchargement, comme ThePirateBay, ont déjà installé des modèles de peer-to-peer indétectables vers lesquels commencent à migrer en masse les plus fervents «pirates» du web. Du reste, le streaming est oublié du texte alors qu’il constitue le principal moyen pour les internautes de visionner des fictions ou d’écouter de la musique. Avant même son entrée en vigueur, Hadopi est déjà obsolète. Bien sûr, quelques «pirates», les moins informés, seront sanctionnés. Mais ceux qui téléchargent à foison passeront entre les mailles du filet. Un récent sondage est sans appel. A la question «la riposte graduée vous fera-t-elle abandonner le téléchargement illégal ?», seuls 4,2% répondent que s’ils reçoivent un avertissement ils passeront aux offres légales contre 51,1% qui estiment qu’ils sauront trouver une parade à la surveillance des réseaux.
D’ailleurs, sur tous les pays qui ont un temps instauré ou pensé instaurer une riposte graduée contre le piratage, peu sont ceux qui s’y sont tenus. En Grande-Bretagne et en Allemagne, le texte a été retiré. Aux Etats-Unis, s’il a bien été voté, la suspension de l’accès internet n’est jamais mise en œuvre. N’ont-ils pour autant plus « de cinéma ni de musique » ? Non, ils se sont adaptés.
Une autre réponse est possible
Vous regrettez l’époque de François Mitterrand où «la gauche avait sauvé les artistes dans notre pays». Déjà alors nombre d’artistes avaient mené campagne contre les radios libres, redoutant de voir les ventes de leurs disques baisser, la fréquentation de leurs concerts diminuer. Rien de tout cela, les radios libres se sont avérées être un formidable outil de promotion et de financement de l’activité artistique. Il en est de même pour internet. Il suffit pour cela d’élaborer de nouvelles formes de rémunération pour l’art et les artistes.
Ce nouveau procédé à un nom : la licence globale. J’ai déjà eu l’occasion d’en vanter les mérites. Une somme minime, prélevée sur les recettes des fournisseurs d’accès internet, financera les auteurs, les interprètes, les cinéastes, les agents, les producteurs, les distributeurs. On met à contribution les véritables bénéficiaires. Bien entendu, cette licence globale ouvre un lieu au bénéfice des seules majors si les artistes ne demandent pas, dès maintenant, à participer à la définition de ce mécanisme d’attribution.
Autant prendre les devants, poser dès aujourd’hui les bases d’un système qui fonctionne et qui contente toutes les parties. La gratuité recèle des perspectives formidables, l’enjeu est de savoir s’en servir à bon escient.