Les hommes n’aiment évidemment pas les prisons ; ni rien de ce qui limite leur vie. Ils n’aiment pas non plus les frontières ni les contraintes que leur impose la brièveté de leur vie, ni celles que leur impose la physique. Aussi, toute l’aventure humaine est-elle faite de tentatives d’évasion : ainsi, l’homme vit-il de plus en plus longtemps, connaît-il la terre entière, a-t-il appris à voler, et explore-t-il l’univers.
Seulement voilà, il a rencontré, à sa grande surprise, il y a un siècle, une prison qu’on lui dit indépassable : selon la théorie de la relativité, élaborée en 1905, il ne pourrait jamais aller plus vite que la vitesse de la lumière dans le vide. Plus précisément, lorsque l’on accélère des protons ou des électrons, leur vitesse s’accroît de moins en moins et n’atteint jamais celle de la lumière. Et même si c’est une limite fort lointaine, elle est, pour l’homme, intolérable.
Ainsi faut-il comprendre l’importance du résultat obtenu par hasard au Centre Européen de Recherches Nucléaires à Genève : des neutrinos de très haute énergie (particules très particulières, dont la masse est inférieure à 1 électronvolt et qui interagissent très peu avec la matière), auraient parcouru sous la terre les 730 km séparant la frontière franco-suisse d’un détecteur de neutrinos installé sous la montagne du Gran Sasso près de Rome, à une vitesse de 6 km/s supérieure à celle de la lumière. C’est à dire qu’ils seraient arrivés avec 20 mètres d’avance sur la lumière ! Ne croyant pas eux-mêmes en leur résultat, les chercheurs l’ont fait et refait, pendant trois ans, observant plus de 15.000 neutrinos, vérifiant les instruments de mesure, la longueur du chemin, en tenant même compte de l’influence éventuelle de la dérive des continents et du séisme de L’Aquila. Rien n’y a fait : les neutrinos ont voyagé plus vite que la lumière.
En attendant que d’autres vérifications, aux Etats-Unis et au Japon, viennent confirmer cet improbable résultat, il faut se demander ce que signifierait une telle transgression : comment les neutrinos auraient-ils pu échapper à une telle limite, imposée par la théorie de la relativité, dont la validité est parfaitement éprouvée dans notre univers à 4 dimensions (avec le temps) ? Ils n’auraient pu le faire qu’en s’évadant dans un autre espace, avec plus de dimensions que le notre, et en y trouvant un raccourci les ramenant plus vite vers notre univers.
Fascinante hypothèse, qui ouvrirait, si elle était confirmée, bien des avenues. D’abord pour résoudre certaines énigmes majeures de la science d’aujourd’hui, qui font douter des théories actuelles : pourquoi la physique de la gravitation diffère-t-elle de celle des autres interactions fondamentales (force électromagnétique et force nucléaire) ? Comment expliquer qu’il manque une masse importante dans l’Univers ? Comment décrire l’état de la matière dans un trou noir ? Comment raconter le premier millième de seconde après le big-bang ?
Ensuite, peut-être, pour échapper un jour à l’ultime prison, la mieux gardée : celle de la causalité, qui interdit à tout événement de se produire avant sa cause. Et qui rend impossible de voyager dans le temps, ni en avant, ni en arrière. Laissant la prédiction, pour longtemps encore, rester l’activité la plus fascinante de l’humanité.