Il est de tradition, quand commence une nouvelle année, d’essayer de prévoir les événements qui vont la marquer. Il est aussi de tradition de se moquer des prévisions que d’autres ont osé faire quand commençait l’année précédente. En général, on se contente, pour prévoir, de suivre le calendrier des événements probables (élections en particulier) et d’y ajouter, au gré de son humeur, quelques guerres attentats, ou révolutions.
En général, ce genre de pronostics ne s’aventure pas sur le terrain artistique ou intellectuel. Nul ne se risque ainsi à annoncer qu’en 2018 sera publié un roman qui bouleversera des millions de lecteurs, qu’un artiste inconnu exposera une œuvre qui stupéfiera la planète, qu’une œuvre musicale nouvelle sera sur toutes les lèvres, ou encore qu’un essai philosophique ou politique fera trembler les fondements idéologiques des sociétés les mieux établies. Ni même, plus prosaïquement, qu’une mode vestimentaire s’imposera contre toutes les habitudes et les préjugés.
Et pourtant, s’ils voulaient bien y regarder de plus près, les amateurs de boules de cristal gagneraient beaucoup à observer ce qui se joue dans le monde des idées et de l’art. D’abord, parce que c’est un domaine étonnamment prédictible : les salles d’opéras, les grands chanteurs, les meilleurs musiciens ont des programmes fixés pour plusieurs années, les grands musées ont des expositions déjà décidées pour quatre ou cinq ans. Les éditeurs eux-mêmes ont des programmes de publication à peu près fixés pour les dix-huit prochains mois. Quant aux couturiers, ils sont déjà largement influencés par des fabricants de tissus, eux-mêmes conditionnés bien longtemps à l’avance par quelques personnages influents et fascinants décidant du style et des couleurs des prochaines saisons, parfois avec trois ans d’avance.
Il serait donc possible, si nous creusions de ce côté, d’avoir une idée assez claire de ce qui s’annonce dans des domaines essentiels de l’avenir, de ce qui nous marquera le plus. Et en particulier des principaux succès. De fait, les événements de 2017 ont montré l’importance des stars dans nos vies quotidiennes. Et la volonté de renouvellement laissait prévoir, partout un grand « dégagisme » intellectuel, artistique et politique. Bien sûr, nul ne peut prédire à l’avance le génie d’un artiste, ni le moment de sa reconnaissance par le monde. Il n’empêche, on peut s’y risquer : il est clair pour moi que 2018 sera, dans le domaine de l’art et des idées, le moment d’un choc brutal entre la nostalgie et l’audace, l’audace de la nostalgie, la nostalgie de l’audace. Seront d’abord glorifiées partout dans le monde les valeurs les plus traditionnelles. Nous assisterons ainsi à des triomphes ou des redécouvertes de grandes œuvres classiques, prétextes parfois à des retours aux racines culturelles nationales. En particulier, en Chine, en Inde, en Amérique Latine, mais aussi en Europe, devraient resurgir des œuvres majeures, souvent oubliées. Elles nourriront aussi l’imaginaire mondial. La nostalgie sera ainsi une valeur d’évidence dans un monde qui sait déjà ce qu’il perd et ne sait pas encore ce qu’il gagne. Et avec elle, domineront les valeurs de l’identité, des racines, du patrimoine. Les politiques en feront leur miel.
En réaction, les jeunesses du monde, quels que soient leurs âges et leurs statuts sociaux, feront surgir d’innombrables œuvres à la gloire de la liberté, de la transgression, de la négation des acquis, de la table rase. Mais aussi de la vulnérabilité, de la fragilité. Dans le domaine des idées, mon intuition est celle-ci : après la si légitime bataille pour l’égalité des sexes et la reconnaissance de la créativité féminine, nous allons assister en 2018 à une prise au sérieux (enfin) de l’enfance. Nous valoriserons sa protection. Nous serons à l’affût de ses talents et de ses audaces. Des milliers de pages sur le droit à l’enfance seront écrites. On en trouvera la source, même imaginaire, dans les philosophies les plus anciennes. Des intellectuels y trouveront un nouveau fonds de commerce. Des artistes de nouveaux champs d’inspiration. Et les politiques, le moment venu, s’en saisiront. Pour le pire et le meilleur.