Chaque fois que le système de valeurs des sociétés occidentales est en crise, chaque fois que le modèle matérialiste est en désarroi, chaque fois que nos idéologies semblent incapables de donner du sens à l’effort, bien des gens se retournent vers les grands auteurs des temps anciens: Que disent-ils de la puissance ? De la richesse ? De l’impatience ? De la démesure ? Du sens de la vie ?
Parmi ces penseurs, , il en est un qui, en toute période de crise, fascine plus que les autres ; non parce qu’il est le plus grand, ou le plus important, mais parce qu’il rassemble, dans une langue simple, radicale, moderne, le meilleur de ceux que les Anciens, Grecs et Romains, d’Epicure à Epictète, ont dit avant lui du sens de la vie : Sénèque.
Cet intellectuel devenu homme politique, contemporain de cinq Césars, amant de la sœur de Caligula, questeur en 35, maître de Rome au nom de Néron, le temps d’un quinquennat, de 54 à 59, acculé au suicide en 65, nous a laissé, entre autres, des lettres magnifiques à un haut fonctionnaire affecté en Sicile, Lucilius. Il y donne des réponses d’une incroyable modernité sur l’absurdité de la puissance, l’inutilité de la richesse, la vanité de la gloire, la mauvaise influence de la foule et des spectacles, la valeur du temps qui passe. Des lettres que nous avons tous grand intérêt à relire aujourd’hui.
Ainsi, sur l’absurdité de l’usage que nous faisons de notre temps : « Une grande partie de la vie s’écoule à mal faire, la plus grande à ne rien faire, la vie tout entière à faire autre chose. »… Sur les dangers de la mode : « La fréquentation du grand nombre est notre ennemie : il y a toujours quelqu’un pour nous faire valoir quelque vice, ou l’imprimer en nous, ou, à notre insu, nous en imprégner ». Sur la nature réelle de nos besoins : « Les besoins naturels sont bornés ; ceux qui naissent d’une opinion fausse n’ont pas où s’arrêter ; le faux, en effet, n’a pas de limites. ».
Sur la nécessité de préparer l’avenir : « Selon l’avis de nos ancêtres, il est « trop tard pour épargner quand on arrive au fond » ; ce n’est pas seulement, en effet, la part la plus petite qui subsiste à la fin, mais la plus mauvaise. » Sur la meilleure manière de se comporter face aux menaces : « Si tu veux dépouiller toute inquiétude, quelque événement que tu redoutes, envisage sa venue de toute façon ; et ce mal, quel qu’il soit, mesure-le toi-même par rapport à toi et évalue ta propre crainte : tu comprendras assurément que ce dont tu as peur est ou bien sans importance ou bien sans durée »
Sur la cohérence nécessaire entre la morale et la loi : « Vis avec les hommes comme si les Dieux te voyaient, parle avec les Dieux comme si les hommes t’entendaient » Enfin, sur l’urgence de vivre pleinement chaque instant, sans artifice, sans leurre, sans virtualité : « Chaque jour nous mourons ; chaque jour, en effet, nous est ôtée une partie de la vie ; et alors même que notre âge s’accroît, la vie décroît…. Comme ce n’est pas la dernière goutte qui vide une clepsydre mais tout ce qui s’est écoulé auparavant, de même l’heure ultime à laquelle nous cessons d’être ne nous tue pas à elle seule : si c’est alors que nous parvenons à elle, nous avons mis longtemps à y parvenir. »
En ces temps d’artifice et d’injustice, il faut relire ces textes magnifiques, les méditer longuement. Pour y puiser le courage de réussir le seul progrès qui vaille, condition de tous les autres : « devenir l’ami de soi-même ».