Principal pivot, assurant seule la survie de l’euro, en l’absence de tout soutien d’un exécutif européen, la Banque Centrale Européenne se trouve aujourd’hui obligée de faire exactement le contraire de ce que lui dictent les traités : prêter à des Etats pour financer leurs dettes. Et le faire de la pire façon : en fournissant aux banques quasi gratuitement les moyens de prêter ensuite aux Etats avec un forte marge.
Sur insistance allemande, et en reprenant dans ses statuts l’esprit d’une loi française de 1973, la BCE, à la différence des autres banques centrales des pays développés, ne donne pourtant pas aux Etats, en principe, un accès direct à la planche à billets, pour ne pas les encourager à s’endetter.
Et pourtant, depuis 2008, elle fournit à peu de frais aux banques les moyens de souscrire aux emprunts des Etats de la zone euro. Aujourd’hui encore, alors que la BCE entend orienter les banques vers le financement des entreprises, elle institutionnalise en fait le financement monétaire de la dette publique, pour le plus grand bénéfice du seul secteur financier, et au détriment du contribuable, qui paie ce qu’il pourrait avoir gratuitement.
En effet, elle vient de décider de prêter aux banques à un taux de 0,1% pour 4 ans, 400 milliards d’euro d’ici à décembre 2014, et plus encore jusqu’en juin 2016. En théorie pour financer l’économie. Mais comme la BCE autorise les banques à placer « provisoirement » (jusqu’en septembre 2016) cette manne en bons souverains, celles-ci vont continuer de s’engouffrer dans cette brèche qui leur permet de faire des profits significatifs et d’augmenter leurs fonds propres en y rangeant ces bons d’Etat, juste au moment où la BCE leur demande de les augmenter.
En apparence, tout le monde y gagne : les banques qui font des profits faciles ; et les Etats qui paient moins cher leurs dettes (la France vient ainsi d’emprunter à 1,77% à 10 ans malgré la dérive des déficits dans le pays). Et ce mécanisme peut n’être vu que comme une prolongation pour 4 ans du système précédent, qui vient à échéance en février 2015, à un coût encore plus bas.
Mais en réalité, ce système institue une totale distorsion de la dynamique européenne, permettant durablement aux Etats de se financer par la planche à billets sans contrepartie de réforme, accordant une rente de situation aux banques, enlevant aux marchés le soin de différencier les pays solvables des autres, sans apporter le moindre financement supplémentaire aux entreprises et en alourdissant la charge des contribuables.
Les marchés ne s’y trompent pas qui ont fait monter de 60% la valeur boursière des banques depuis deux ans, alors même que, selon le FMI, leurs crédits à l’économie n’ont cessé de se réduire.
Sentant que cette critique va venir, la BCE fait tout pour que cela ne se sache pas. Et elle n’est plus du tout certaine de vouloir aller plus loin dans cette direction pervertie. Elle tente alors de pousser les banques à constituer des portefeuilles regroupant les titres de leurs prêts à des PME, et à les lui revendre ; ce qui en théorie permettrait d’augmenter les prêts aux entreprises. Oubliant cependant que c’est justement la titrisation de crédits qui déclencha la crise de 2008.
Il est urgent, dans l’intérêt même de la BCE, de la débarrasser de ce cadeau empoisonné. Et comme personne ne pense à interdire aux banques de souscrire aux Bons du Trésor, il faut autoriser la BCE à en faire autant, dans des limites constitutionnellement intangibles.
Et comme la planche à billets ne crée pas de richesses réelles (sinon il n’y aurait plus de pauvres depuis longtemps), il ne faut plus laisser le financement de l’économie à la charge des seules banques commerciales, pour y faire intervenir une action beaucoup plus volontariste de la BEI et des autres banques publiques d’investissement.
Ce n’est pas très difficile : il faudrait juste que les membres du Conseil européen fassent preuve d’un peu de courage.