Le monde va mal, c’est certain. Et il ira plus mal pour un long moment encore. La pandémie est devant nous pour encore au moins un an ; le nombre de victimes va encore beaucoup augmenter, partout dans le monde. Bien d’autres gens, en particulier en Afrique mourront de l’absence des vaccins et des soins dont les aura privés cette pandémie. Partout, les licenciements et les faillites se multiplieront. En France même, des gens basculeront dans la misère d’un jour à l’autre ; des étudiants devront abandonner leurs études parce qu’ils n’ont même plus de quoi se loger et survivre, et que personne ne fera ce qu’il faut pour leur en fournir les moyens.
Pour autant, il ne faudrait pas nier que, à coté de cela, il y a beaucoup de bonnes nouvelles.
D’immenses progrès techniques ont été accomplis très récemment et s’annoncent pour bientôt. L’incroyable mise au point de vaccins, en un temps record, en constitue la manifestation la plus visible : celui de Pfizer est efficace à plus de 94%, ce qui est énorme, juste un an après qu’on ait décrypté le génome du virus. Celui de Moderna en est à tester son rappel, qui sera bientôt utilisable après n’importe quel autre vaccin, pour contrer quelques-uns des variants apparus récemment. Et bien d’autres progrès surgissent dans la défense contre ce virus. Par exemple, des sprays nasaux semblent efficaces et pourraient changer toute la gestion des diverses formes de confinement. Dans d’autres domaines, le progrès, moins spéculaire, est gigantesques : depuis dix ans, le coût de revient de l’énergie solaire a été divisé par dix et celui de l’énergie éolienne des deux tiers. Et bien d’autres technologies apparaissent tous les jours pour maitriser les enjeux du climat ; ainsi les premiers porte-containers zéro carbone seront lancés en 2023, soit 7 ans avant la date prévue ; Ford a annoncé qu’il ne produirait plus que des voitures électriques en Europe dès 2030 ; et malgré toutes les pressions du président Trump en faveur des énergies fossiles, plus de centrales à charbon ont fermé sous sa présidence que sous celle de son prédécesseur ; et tant d’autres, inattendues. Ainsi, une technologie de la NASA utilisée pour cartographier le ciel se révèle aussi efficace pour permettre de mieux protéger les plus gros cétacés.
D’autres changements, tout aussi importants, sont apparus dans les mentalités : Beaucoup plus de gens que jamais ont pris conscience de la nécessité de dépenser beaucoup plus d’argent pour la santé, l’hygiène, la recherche, l’éducation, l’alimentation, le digital, les énergies propres, qui forment ce que je nomme « l’économie de la vie » et qui était très largement délaissée au profit d’autres secteurs comme la mode, le plastique, les énergies fossiles, l’aviation et tous les véhicules utilisant des énergies fossiles.
Beaucoup de gens ont aussi compris que le monde est un ; et qu’on ne peut en régler les principaux problèmes en fermant les frontières ou en tentant de s’enfermer dans une illusoire souveraineté industrielle ou identitaire : presque aucun pays (sauf la Chine et la Russie, dans des conditions qui restent à évaluer) n’aurait pu avoir accès seuls aux vaccins et aux autres équipements médicaux produits par parties en plusieurs lieu du monde entier ; et l’interdépendance des diverses parties du monde est devenue évidente quand un problème d’hygiène dans un marché de gros dans une grande ville chinoise et une absence de contrôle dans un laboratoire de recherches de cette même ville ont eu des conséquences planétaires. Que l’absence de vaccins en Afrique ou en Amérique Latine peut faire revenir en Europe et aux Etats-Unis de nouveaux variants de ce virus, dont les vaccins disponibles ne nous protègeraient pas.
Beaucoup ont enfin réalisé, dans cette crise qu’il vaut mieux se préparer longtemps à l’avance aux enjeux de l’avenir. Que cette pandémie ait été mieux traitée si on s’était préparé, comme en Corée du Sud, ou si on avait anticipé dans les commandes de vaccins, comme en Israël. Comme cette pandémie, d’autres menaces sont aujourd’hui parfaitement prévisibles, et beaucoup plus de gens comprennent qu’il faudrait les traiter traités à l’avance ; en particulier ceux, terriblement urgents, du climat ; et donc de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; par exemple, la récente tragédie du Texas montre une fois de plus à quoi conduit l’impréparation dans la gestion des infrastructures d’énergie.
D’une certaine façon, se dessine ainsi un monde de l’après covid très positif : plus lucide, plus solidaire, plus ouvert, mieux préparé à affronter à l’avance les enjeux de l’avenir ; plus confiant dans ce que la science et la technologie peuvent apporter. Un monde de raison et d’altruisme. Un monde d’altruisme rationnel.
Pour autant, le pire est encore possible : Des pays peuvent encore dresser d’innombrables barricades comme une illusoire protection contre les enjeux du monde ; et des peuples peuvent décider, une fois la pandémie passée, d’en revenir aux pires errements et gaspillages d’avant.
Pour l’éviter, il faut ne jamais perdre de vue ce qui arrive chaque jour de positif ; et tenter sans cesse de mettre ces progrès matériels et ces idées neuves au service des plus fragiles d’aujourd’hui et de demain. Si on ne perd pas cela de vue, cet horrible cauchemar, dont nous ne sommes pas encore réveillés, n’aura pas été totalement inutile.
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