Pour la quatrième fois depuis 1870, la politique intérieure de l’Allemagne se trouve au cœur d’une grave crise menaçant la stabilité de l’Europe. Pour la quatrième fois, la réaction des autres Européens, qu’ils s’opposent ou se rallient à un diktat berlinois, risque de déclencher un désastre.

Cette fois-ci, le risque est purement économique : si l’Allemagne continue à s’opposer a une intégration budgétaire des pays de la zone euro, l’Union européenne ira au désastre. Et l’Allemagne avec elle. Ce n’est donc pas en approuvant l’Allemagne, de peur de la fâcher, comme vient de le faire le président français au conseil des ministres franco allemand, qu’on évitera la catastrophe.

Pour l’éviter, il ne sert à rien non plus de s’opposer frontalement à l’Allemagne. Il faut la comprendre et lui faire comprendre.

La comprendre d’abord : après vingt ans d’efforts, pour mettre à niveau l’Est du pays, la nouvelle puissance se croit sortie d’affaire : peu de chômage, beaucoup d’exportations ; son industrie automobile dégage une valeur ajoutée six fois supérieure à celle de son concurrent français ; et le pays bénéficie de la confiance des marchés, qui lui prête à des taux très faibles. Pas question, dit la Chancelière, de mettre en péril cette stabilité en finançant les déficits de ceux qui n’ont pas fait les mêmes efforts. Obsédée par les précédents (les réparations et l’inflation), elle ne veut pas payer une nouvelle fois pour le reste de l’Europe ; et elle ne considère plus l’Union que comme une alliance souple à 27. Le fédéralisme budgétaire, qu’avaient proposé les Allemands en 1994 et que les Français avaient alors, erreur terrible, refusé, n’est plus d’actualité.

Lui faire comprendre ensuite : d’abord lui expliquer que l’approfondissement de la crise chez les autres Européens causera sa ruine, parce que l’essentiel de ses exportations vont dans les pays qu’elle laisserait s’effondrer ; et parce que ses banques ont beaucoup prêté aux pays menacés de faillite. Ensuite, lui expliquer qu’elle ne peut s’en sortir seule, parce qu’elle est l’homme malade de l’Europe : sa démographie est désastreuse ; sa dette publique est aussi élevée que celle de la France ; son industrie est menacée : par exemple, elle ne maitrise en rien les technologies nécessaires à la voiture électrique ; son chômage n’est bas que grâce à l’immensité des subventions publiques ; les inégalités y ont massivement augmenté depuis dix ans, plus que dans aucun autre pays de l’OCDE ; seulement 30% des jeunes allemands nés en 1974 ont un bac général ; 50% des jeunes (autrefois intégrés et formés dès 16 ans dans les entreprises) ne sont pas assez qualifiés, là aussi plus que dans aucun autre pays de l’OCDE. Les marchés l’ont compris qui commencent à rechigner à prêter à l’Allemagne.

La chancelière, et l’opinion publique allemande, pourraient alors admettre que l’Allemagne souffrirait plus que personne de la rupture de l’euro ; qu’elle n’est rien sans l’Europe ; que la génération d’après est plus européenne que celle qui dirige aujourd’hui pour des raisons différentes de la génération d’avant elle : Erasmus a remplacé Adenauer.

L’Allemagne pourrait alors réaliser qu’il est suicidaire pour elle de se disputer pour savoir qui financera une dette publique, quand les marchés les attaquent toutes, et pour savoir qui vendra un train à Eurostar quand s’annonce la concurrence chinoise. Elle pourrait alors enfin réaliser que l’Europe doit mettre en commun des moyens budgétaires et se doter d’une politique industrielle.

Rien n’est plus important aujourd’hui que de parler à l’Allemagne. Sans crainte. Sans tabou. En lui rappelant son passé. Parce qu’il est aussi le nôtre.