Alors que les hommes politiques, les banquiers centraux, et les marchés financiers voudraient croire, et faire croire, que la crise économique mondiale est terminée, au moins aux Etats-Unis, voilà qu’elle rebondit de façon spectaculaire, et nous rappelle que, depuis 2008, on a fait que reporter la solution des problèmes en transférant les dettes privées sur les dettes publiques. Et si c’est particulièrement visible aux Etats-Unis, c’est pour trois raisons très particulières :
- L’absence de premier ministre y conduit au blocage des institutions, quand la majorité à la Chambre des Représentants n’est pas de la même couleur politique que le Président. En France, par exemple, dans un tel cas, le budget serait présenté, voté et exécuté sous la responsabilité du premier ministre, représentant la majorité parlementaire ; le président n’aurait pas son mot à dire et le pays continuerait à fonctionner.
- Le budget américain, dont l’exécution annuelle commence le 1er octobre, n’est pas, à la différence de ce qui se passe dans la plupart des autres démocraties, reconduit automatiquement s’il n’est pas approuvé par le Parlement. Or, les représentants républicains, dont la réélection dépend du soutien des extrémistes de leur propre parti (le Tea Party), refusent de voter un budget qui finance la réforme de l’assurance-maladie promulguée par Obama en 2010 et dont un volet crucial est entré en vigueur le 1er Octobre 2013. Aussi, faute d’accord entre le président et le Congrès, les services publics se sont arrêtés à cette date ; 900 000 fonctionnaires, soit 43% des effectifs, ont été mis en congés sans solde. C’est le shutdown. Le cout en est immédiatement gigantesque : Chaque semaine de blocage retire 8 milliards de dollars à la production, et avec un effet négatif sur la croissance allant de 0,2 à 0,5 point, selon les estimations.
- Enfin, depuis 1917, les Etats-Unis, à la différence de la plupart des autres pays, fixent un plafond pour leur dette publique, qui ne peut augmenter sans un vote du parlement. Encore est-ce un progrès, puisqu’avant tout emprunt d’Etat devait être approuvé par le Congrès. Depuis lors, ce plafond a été relevé des dizaines de fois. Si le plafond de la dette (qui atteint aujourd’hui 16.700 milliards de dollars) n’est pas relevé une nouvelle fois le 17 octobre 2013, les Etats-Unis ne pourront plus faire face à leurs dépenses car la trésorerie sera très vite épuisée (il ne restera plus que 30 milliards de dollars). Les marchés anticiperont vite un défaut des Etats-Unis, qui aurait des conséquences profondes sur le système financier mondial conséquences bien plus graves que le shutdown. L’Europe n’en sortira pas indemne.
- Pour gagner ce bras de fer, la Chambre des représentants, contrôlée par les républicains, a voté des mesures partielles et temporaires pour permettre le fonctionnement de certains services (la sécurité des armes nucléaires, les services de renseignement, la police aux frontières, les allocations pour les plus démunis, l’agence de contrôle des médicaments, les services météorologiques, les aides aux écoles , la scolarisation des enfants de familles démunies, le paiement rétroactif des fonctionnaires) ; elles ont été rejetées par le Sénat et la Maison Blanche, qui n’ont pas l’intention de faire des concessions majeures sur la santé et préfèrent un scénario d’affrontement. En attendant une solution, et pour amortir le choc, la Fed maintient le rythme des rachats de titres pour un montant de 85 milliards de dollars par mois : une autre source de financement artificiel, qu’il faudra bien rembourser un jour. Tout est alors possible, même si le plus vraisemblable est que les républicains vont bientôt céder, pour ne pas porter la responsabilité de la paralysie du pays. Quand ils l’auront fait, on respirera, et on croira, une nouvelle fois, la crise terminée, alors qu’on aura fait qu’en reporter l’échéance, devenue plus lourde encore….