Peut encore parler des enjeux de la rentrée ? Après tout, la planète est telle aujourd’hui qu’il sera de plus en plus difficile de parler de « rentrée », quand le spectacle du monde est de plus en plus permanent, et que son interaction avec nos propres préoccupations de plus en plus prégnante.
Il n’empêche : la pause estivale, aussi courte soit elle pour une majorité des Européens, est une occasion de faire le point sur ce qui attend le monde dans les mois à venir ; et en particulier la France, même si elle ne veut pas le voir.
Pour le monde, les enjeux, (qui seront bientôt sur la table d’un nième inutile G 20) sont immenses : mettre fin à la boucherie syrienne, sans pourtant faire exploser le pays en une myriade d’émirats, islamistes pour la plupart, de tendances diverses. Eviter qu’à la tension entre les Japonais et les Chinois, par Coréens interposés, s’ajoute une autre, entre les Etats-Unis et la Russie, qui pourrait avoir de bien plus redoutables conséquences. En économie, à l’échelle mondiale, bien des problèmes restent sans solution ; bien des menaces se confirment : le protectionnisme grandit partout ; la croissance se ralentit, même dans les pays les plus prometteurs ; la dette publique continue d’augmenter dans les pays du Nord et réapparait dans certains pays du Sud, comme le Brésil. Le chômage ne se réduit pas. Seuls les Etats-Unis, incorrigibles optimistes, continuent de penser qu’à coup de planche à billets et de gaz de schiste, la crise sera bientôt derrière eux.
En Europe, chacun se rassure en disant qu’il suffit d’attendre que la reprise vienne ailleurs pour qu’elle soit contagieuse, que la récession se termine et que les emplois se fassent moins rares. Certains en tirent même la conclusion que les efforts de réforme, la recapitalisation des banques et la réduction des dettes publiques n’ont plus lieu d’être. Donc, ne rien voir, ne rien dire, ne rien faire. Et tout ira bien.
Grande illusion : la croissance ne reviendra pas par le seul jeu d’une hypothétique contagion venue d’ailleurs. De plus, au niveau actuel de récession, le ratio dette publique/ PIB ne peut qu’augmenter et atteindra bientôt des niveaux intolérables, non seulement en Grèce, aujourd’hui de nouveau en faillite virtuelle, mais aussi en Espagne, au Portugal, et en France. Montrant que la poursuite de l’actuelle stratégie d’austérité, sans réelle réforme domestique permettant de retrouver de l’innovation et de la productivité, et sans progrès dans la construction européenne, dès lendemain des élections allemandes, est vouée à l’échec. L’optimisme n’est pas une politique.
Pour la France, les enjeux sont plus particulièrement lourds. D’abord, parce que, à la différence des autres pays européens, sa population augmente, ce qui veut dire que le pouvoir d’achat par habitant baisse si la croissance du PIB est inférieure à 1% ; et plus encore même, si on tient compte de l’augmentation des impôts. Autrement dit, aucune croissance vraisemblable du PIB ne pourra pas empêcher la baisse du pouvoir d’achat de chaque français (sauf les plus riches) pendant de longues années. Il est donc particulièrement urgent d’utiliser au mieux l’argent public et de réduire les inégalités. Pour cela, il faut d’urgence concentrer l’aide sociale sur ceux qui en ont le plus besoin, la formation professionnelle sur les chômeurs, équilibrer le système des retraites et ne pas laisser déraper les déficits budgétaires, par une réduction massive des gaspillages d’argent public.
Tout cela suppose d’énormes réformes, dont la liste est connue, et qui, si elles ne sont pas entreprises lors de cette rentrée, ne le seront pas non plus pendant les années suivantes, en raison de la succession d’échéances électorales.
Pour la classe politique, le choix est donc simple : ou on réforme à l’automne 2013, si possible par un consensus sur l’essentiel des partis de gouvernement et des syndicats, ou on laisse se produire un cataclysme aux présidentielles de 2017. Tel est l’enjeu de cette rentrée. Gauche et droite confondues. Alors ? Oseront-ils se contenter de leurs mesquines rivalités ? Oseront-ils ne rien faire ?
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