La tragédie des paysans français d’aujourd’hui, (qu’on a bercé d’illusions depuis vingt ans en leur faisant croire que Paris et Bruxelles seraient toujours là pour financer leurs excédents), doit cesser.
Aujourd’hui, sauf quelques-uns d’entre eux, les paysans s’enfoncent dans la misère, ce qui accélèrera la prolétarisation de nos territoires.
Il faut donc à la fois leur tenir un langage de vérité et leur fournir les moyens de vivre décemment, dans l’intérêt du pays et du monde.
Ce discours, et surtout cette politique, devraient s’articuler autour des dix points suivants :
1. Le modèle agricole français n’est plus un succès. La France n’est plus en tête, ni dans les exportations agricoles (l’Allemagne nous dépasse) ni dans l’agriculture raisonnée, ni dans le bio (l’Autriche, l’Italie et la Suède par exemple ont proportionnellement plus de parcelles bio que la France).
2. Nourrir sainement la population du pays, avec des produits obéissant aux règles fixées par un législateur indépendant des lobbys, reste plus que jamais une nécessité stratégique et géopolitique.
3. En quête générale de transparence, les consommateurs voudront de plus en plus tout savoir de l’origine des matières premières et des modes de fabrication de ce qu’ils mangent et boivent.
4. Ils voudront une nourriture bien plus saine, et dont la production ne nuira ni à eux, ni à leurs enfants, ni à l’environnement. En particulier, ils voudront des produits contenant beaucoup moins de sucre et d’OGM, et provenant d’une agriculture véritablement raisonnée, locale, puis bio.
5. Cette nourriture saine ne devra pas être réservée à une soi-disant élite mais devenir celle de tous, à des prix raisonnables, et autant que possible être accessible par des circuits courts.
6. Pour satisfaire ces exigences, les consommateurs devront consacrer à se nourrir sainement une part plus grande de leur pouvoir d’achat, rogné aujourd’hui par les exigences envahissantes du multimédia et de la téléphonie.
7. L’essentiel de la valeur ajoutée et des profits de la filière alimentaire devra cesser d’aller surtout aux industriels, qui imposent leurs prix aux paysans et aux distributeurs, en faisant des profits gigantesques avec des produits dont chacun sait qu’ils sont trop sucrés et fabriqués avec des produits agricoles parfois malsains. Peut-être faudra-t-il même donner aux consommateurs un pouvoir d’achat spécifique pour acheter des produits de qualité, produits localement.
8. Cette politique ne peut être décrétée d’un jour à l’autre. En particulier, l’Etat doit aider à cette transition en établissant, en dialogue avec les paysans, un plan « tout bio en 2025 », leur permettant de se préparer à cette évolution inéluctable. Par des aides, des conseils, et une politique internationale volontariste. En particulier, l’Etat ne devra pas hésiter à interdire l’importation de produits non raisonnés et non bio, ou au moins à obliger d’étiqueter les composants non bio et non raisonnés, de produits soi-disant fabriqués en France. La PAC 2020 devra aussi aller résolument dans ce sens.
9. Cette politique devra être soutenue par des efforts majeurs de recherche et d’innovation, dans un secteur dont l’importance est au moins aussi grande que celui du numérique.
10. Une telle politique améliorera l’espérance de vie de tous les consommateurs, créera des emplois décents dans l’agriculture, permettant aux paysans de développer la production d’énergie et le tourisme écologique, de leur redonner une fierté trop souvent perdue et de maintenir la vie dans nos territoires.
Il n’est que temps de le faire. Tout le monde a tout à gagner à un tel langage de vérité.
j@attali.com