Selon la métaphore bien connue, dont l’origine date sans doute des premiers tunnels ferroviaires, vers la fin du 19ème siècle, nous pourrions voir bientôt en Europe la lumière au bout du tunnel, car il serait possible, avec un peu d’optimisme, de penser que la crise de l’euro approche de sa résolution et qu’une solution durable sera bientôt mise en place.
En effet, si le conseil de la Banque Centrale Européenne décide, dans sa réunion du 6 septembre prochain, d’adopter le plan sur laquelle ses experts travaillent, à l’initiative de Mario Draghi, elle interviendra pour faire baisser les taux d’intérêt des emprunts des pays périphériques, en les achetant elle-même autant que nécessaire pour casser la spéculation. Ce nouvel instrument, révolutionnaire, permettra alors de réduire le coût de la dette des Etats, comme le précédent instrument créée par la BCE, le LTRO, mis en place fin décembre dernier, avait permis de réduire le coût des emprunts des banques commerciales, et comme le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), prochain successeur de la Facilité Européenne de Stabilité Financière (FESF), en assurera le financement durable. Avec ces trois outils, un financement à bas coût de l’économie européenne sera garanti ; les euros bonds, tant attendus, seront implicitement en place ; et l’Europe aura tout le temps nécessaire pour mener à bien ses réformes et retrouver sa croissance.
Deux sortes d’obstacles rendent ce scénario très incertain.
D’une part, il n’est pas exclu que la BCE ne prenne pas de décision le 6 septembre, pour attendre la validation du traité européen et du Mécanisme Européen de Stabilité, en Allemagne par la cour Constitutionnelle, le 12 septembre, le même jour aux Pays-Bas, par les électeurs, qui votent pour leurs élections législatives et quelques jours plus tard, début octobre, en France, par les parlementaires, qui doivent ratifier le nouveau traité européen.
D’autre part, parce que la BCE ne peut prendre le risque de donner aux pays en difficulté le sentiment que leurs reformes ne sont plus nécessaires parce que tout l’argent du monde serait disponible. Elle doit donc avoir, pour déclencher ces mécanismes réduisant le coût des emprunts d’Etat, les certitudes que des réformes sérieuses auront lieu.
Et là est le plus difficile : qui peut définir ces programmes ? Qui peut s’assurer qu’ils seront mis en place et suivis ? En Grèce, où le pays ne survit qu’en imprimant des billets en attendant le prochain prêt ? En Espagne, où le gouvernement refuse de voir la gravité de sa situation ? En Italie, où la récession rend peu crédible la réussite des louables efforts de Mario Monti ?
Il n’y a aujourd’hui aucune réponse crédible à ces questions ; la Commission n’en a pas le pouvoir ; l’Eurogroupe n’en a pas la légitimité ; le FMI n’est pas bienvenu dans un problème qui doit se régler entre Européens. Et la BCE ne peut prendre un rôle de contrôle des politiques économiques, qui doit rester entre les mains des élus.
Il faut donc, au plus vite, créer, au sein de l’eurozone, une vraie instance politique, avec un ministre des finances de la zone, ayant le pouvoir et la légitimité, sous le contrôle des parlementaires européens des pays de la zone, de définir et de contrôler l’application de programmes de réformes de chaque pays. De programmes économiquement efficaces et socialement justes.
Si une telle instance n’est pas vite mise en place, les audaces et les innovations récentes de la BCE auront été vaines. Et les crises grecques, espagnoles, italiennes, portugaises, et autres se termineront par la disparition de l’euro.
La lumière qu’on croit voir aujourd’hui au bout du tunnel aura alors été celle de la locomotive qui nous fonce dessus.