La bataille entre les deux géants du Net, qui vient de s’accélérer cette semaine, est révélatrice d’un très grand enjeu mondial.
A priori, ils se ressemblent beaucoup : créés tous les deux par des étudiants d’une université américaine prestigieuse (l’un en 1998, l’autre en 2004), gardant un esprit start-up, menant les mêmes combats pour la transparence de la vie privée et la gratuité du Net, gagnant leur vie en vendant de la publicité, l’un et l’autre veulent connaître tous les faits et gestes des gens et devenir le standard du web. Ils ont tous les deux atteint les 2 milliards de dollars en 5 ans. Et chacun contrôle aujourd’hui environ 7% du trafic web mondial.
Leur modèle est pourtant très différent : pour connaître les comportements des gens, Google prétend les aider, dans leur vie professionnelle, universitaire ou privée, à chercher, téléphoner, naviguer ; pour atteindre le même but, Facebook veut aider chacun à nouer des liens avec les autres et, pour cela, tente de devenir le standard des systèmes de login, du partage de liens, de commentaires de sites tiers.
Doit-on prédire qu’à l’avenir Google gérera notre quotidien solitaire, et Facebook nos relations avec les autres ? Et qui des deux l’emportera ? Serons-nous une juxtaposition d’autistes ou membres d’une infinité de tribus ?
Aujourd’hui, Google semble l’emporter : la firme de Mountainview est valorisée $190 milliards, soit 5 fois plus que Facebook, dont le chiffre d’affaires ne représente qu’un quart du bénéfice de son concurrent.
Mais la dynamique va plutôt du coté de Facebook : depuis août 2010, les Américains passent plus de temps sur Facebook que sur Google (41 millions de minutes contre 40 par mois) et plus d’internautes utilisent désormais Facebook que Google comme page d’accueil.
De fait, Google s’est concentré sur une bataille ancienne, celles de l’adresse mail (en concurrence avec Yahoo et Hotmail), alors que de plus en plus de jeunes n’utilisent plus que le réseau social, le chat et le sms pour communiquer ; ils n’ont aucun problème à y poster des photos très intimes, et même à rompre via Facebook. Google n’a pas innové, sinon en rachetant des projets externes, comme You Tube (plus de vidéos sont visionnées chaque jour que de recherches sont faites sur Google) ou comme le nouveau Google Wallet, moyen de paiement par téléphone.
Alors que Facebook devient un moyen d’organiser la consommation et de former l’opinion des consommateurs et des électeurs.
Au total, Facebook sera le passeport pour entrer dans le continent virtuel, tandis que Google ne sera plus qu’un des guides pour l’explorer.
Certains pensent que la croissance de Facebook sera limitée par le nombre de personnes avec qui un cerveau humain pourrait avoir des relations, limité à 150 selon les biologistes; mais l’expérience montre que les gens acceptent facilement un nombre illimité d’inconnus comme amis sur les réseaux virtuels; et qu’il n’est aucune décision qu’on ne soit prêt à prendre dans l’espace du net.
Ainsi, l’avenir appartient aux réseaux et à ceux qui sauront les étendre. Et d’abord à ceux qui sauront prendre le contrôle des grands réseaux encore indépendants : allié à Facebook, Spotify (site européen de musique en réseau) pourrait concurrencer Apple. Allié à Google, Twitter (système de micro-blogging) pourrait concurrence Facebook. Puis à ceux de ces réseaux qui sauront organiser des systèmes de paiement et de monnaies virtuelles, liées en particulier aux jeux vidéo.
Rien n’est en fait encore joué : Amazon prend des positions sérieuses sur le cloud computing, Microsoft a racheté Skype, Apple se concentre sur le haut de gamme, Twitter pourrait s’imposer comme un pôle de développement autonome. Et tant d’autres, qui feront surgir des applications inédites ; banques, opérateurs téléphoniques, services publics se réagenceront dans de nouveaux rapports de pouvoir. La finance, la politique, l’éducation devront être pensées autrement ; nos vies quotidiennes seront bouleversés.
Naturellement, de tout cela, l’Europe est presque absente.