Imaginez la scène : plusieurs alpinistes reliés par une même corde, élastique, épuisés par l’ascension très difficile d’un sommet jamais atteint, se disputent à mi-hauteur.
Alors que le sommet est proche, sur un chemin escarpé, au bord du vide, le dernier de cordée, épuisé, dérape, et tombe dans le ravin. Les premiers de cordée résistent et la corde élastique amortit le choc. Les derniers de cordée trouvent un appui fragile sur la face abrupte de la montagne. Tout se stabilise un moment. Personne ne veut réflechir au scenario du pire ; au lieu de s’aider les uns les autres, de mettre leurs moyens en communs et de remonter calmement, les alpinistes se disputent. Ceux d’en bas réclament plus d’aide. Ceux d’en haut leur disent de faire plus d’effort.
A la fin, ceux d’en bas disent qu’ils s’en tireront mieux tout seuls. Ceux d’en haut pensent aussi qu’il vaut mieux couper la corde. Dans la dispute, sans qu’on l’ait vraiment décidé, l’élastique casse. Les derniers de cordée tombent au fond du ravin et se fracassent. Les premiers reçoivent l’élastique en plein visage et, déséquilibrés, tombent à leur tour.
Quelques vautours viennent alors se saisir des dépouilles de tous.
Cette histoire absurde est celle de l’Europe d’aujourd’hui. Dans la montée du mont Europe, tous ont vacillé ; la Grèce est tombée ; les autres l’ont un peu aidé ; pas assez. Les Grecs hésitent aujourd’hui à quitter la cordée de l’euro et à se débrouiller seuls. Les Allemands, en tête de cordée, veulent que les Grecs se débrouillent pour remonter seuls.
Si la corde cassait (par la sortie volontaire de la Grèce, ou par l’entêtement allemand, ou par la fermeture des guichets de la Banque Centrale Européenne pour la Grèce), mesure-t-on l’impact ? La Grèce mesure-t-elle que son niveau de vie baissera d’au moins 10% en un an ? L’Allemagne réalise-t-elle que sa propre Banque Centrale y perdra tout de suite plus que la valeur de ses capitaux propres et de ses réserves de change ? La France comprend-elle qu’elle perdra autant que l’Allemagne et que certaines de ses banques y perdront l’équivalent du double de leur valeur boursière ? L’Eurozone comprend-elle que chaque pays européen (et d’abord l’Espagne, le Portugal ou même l’Italie) peut paniquer et subir le même sort que la Grèce, faisant disparaître l’euro ? L’Union Européenne comprend-elle qu’elle paiera ainsi un prix plus élevé que celui que le Traité de Versailles a imposé à l’Allemagne en 1919, avec les conséquences que l’on sait ? Le monde réalise-t-il qu’il peut entrer ainsi dans une dépression majeure et durable, à côté de laquelle la récession actuelle n’est qu’une douce accalmie ?
Chacun comprend-il que les riches du monde (et d’abord les riches grecs sortis du pays avant la crise), vont pouvoir racheter les terres et les entreprises d’Europe pour rien, profitant, comme toujours, du désastre des voisins pour faire fortune ?
L’Europe comprendra-t-elle à temps, c’est-à-dire mercredi, qu’elle n’a pas d’autre solution que l’union de ses forces, autour d’un budget fédéral, se donnant les moyens d’investir ?
Une fois la crise écartée, le monde comprendra-t-il que, comme il y a de la mauvaise et de la bonne dette, il y a de la bonne et de la mauvaise croissance ?
Il est donc urgent d’agir ! Non seulement pour sauver la cordée, mais pour donner du sens à son ascension.