Les discussions actuelles sur le statut des intermittents du spectacle sont essentielles et très révélatrices. Pour certains, il s’agit de parasites rémunérés par les contribuables. Pour d’autres, d’artistes et de techniciens essentiels au fonctionnement du cinéma, de la télévision, et du spectacle vivant, eux-mêmes essentiels à la vie économique et culturelle du pays.
De fait, les occasions d’exercer ces métiers sont épisodiques et, si on veut y attirer des talents, il peut paraître souhaitable qu’ils soient subventionnés par les autres contribuables. Même si ce n’est pas le cas dans d’autres pays, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne (où le spectacle vivant, théâtral et musical, ne se porte pas si mal), c’est le cas en France depuis 1936 pour les techniciens et artistes du cinéma, depuis 1969 pour les artistes interprètes, un peu plus tard pour les techniciens du spectacle vivant et enfin pour ceux de la télévision et ceux de la publicité et d’autres métiers annexes. Des accords en 2003, fortement contestés, ont établi le système actuel, dans lequel il faut et suffit de travailler 507 heures tous les dix mois, soit environ 4 mois à plein temps pour être éligible à ce régime, qui les rémunère mieux que les intérimaires qui doivent pourtant travailler plus longtemps pour être éligibles à leur régime.
Comme toute activité humaine, celle-ci a provoqué bien des fraudes et des dérives : bien des entreprises de spectacles ou autres préfèrent laisser le poids de la rémunération de ces personnels aux contribuables plutôt que d’en faire leurs salariés, même si elles en ont un usage quasi permanent, inventant un statut de « plein-termittent ». Et la Cour des Comptes, qui les poursuit de sa vindicte depuis longtemps, évalue cette fraude à « au moins 15 % des intermittents », dénonçant un régime qui coûte environ un milliard aux autres régimes et représente « un tiers du déficit total de l’assurance chômage, alors même que seules 100 000 personnes en bénéficient » et que le déficit cumulé de ce régime constitue l’endettement total du régime d’assurance chômage. De fait, les intermittents reçoivent 5 fois plus que ce qu’ils paient au système, alors que les détenteurs d’un CDI ne reçoivent que 0,6 fois ce qu’ils paient et les intérimaires 3 fois ce qu’ils financent.
C’est ce régime qui vient d‘être modifié, dans le cadre de l’accord des partenaires sociaux (CGT exclue), visant à rééquilibrer le budget de l’UNEDIC. Cet accord modifie beaucoup d’aspects de la rémunération des chômeurs, et en particulier les règles très complexes de l’indemnisation des intermittents, en particulier le délai de carence et le plafond d’indemnisation. Au total, il en réduit le coût d’environ 150 millions.
C’est cet accord que les intermittents tentent de remettre en cause, en usant du formidable pouvoir de nuisance de ceux qui peuvent en bloquer d’autres.
La nation peut décider de faire un tel effort pour eux, et pour cela remettre en cause toute l’architecture de l’accord des partenaires sociaux. Mais ce sera nécessairement au détriment de l’allocation chômage d’autres catégories sociales, dont les intérimaires, au statut fort voisin, ou au détriment du recrutement d’employés du service public, infirmières ou policiers. Il serait donc plus équitable d’en rester au montant actuel d’économies demandées aux entreprises, quitte à négocier, à l’intérieur de ce montant, une autre répartition de ces efforts, pour qu’ils ne portent pas sur les vrais intermittents, au statut vraiment précaire, mais sur les entreprises, en particulier les chaînes de télévision, qui en ont dévoyé l’usage.
Plus généralement, les intermittents devraient bénéficier du même régime que les autres intérimaires ; la nation doit assumer que tous ceux dont l’emploi est fragile ne cotiseront que pour le tiers de ce qu’ils coûtent, le reste pesant sur les fonctionnaires et les salariés en contrat à durée indéterminée. A condition que, dans cette période de non emploi, ils acceptent de se former.
Ces questions ne sont pas anecdotiques ni catégorielles. Avec les nouvelles technologies, et l’évolution des marchés, nous sommes tous en train de devenir des intermittents, avec des emplois de plus en plus précaires, des compétences de plus en plus changeantes. Aussi, dans une société civilisée, chacun devrait avoir la certitude d’une rémunération en période de non emploi, à condition qu’il l’emploie à se former.
Les intermittents du spectacle sont donc à l’avant-garde de nos sociétés. Leurs droits seront un jour ceux de tous. Cela leur confère aussi des devoirs.